Georges Sand – Une vie un portrait

Romancière française, née le 1er juillet 1804 à Paris, décédée à Nohant-Vic (Indre), à l’âge de 71 ans. Femme de lettres libre, auteure d’une œuvre qu’il faut redécouvrir, féministe avant l’heure, républicaine mais aussi socialiste, elle fut une des grandes figures du XIXème siècle.

« J’ai dit, je dirai encore, toujours et partout, qu’il faut un père et une mère » (1), affirme George Sand dans son livre de mémoires Histoire de ma vie. Les siens sortaient de l’ordinaire. Son père Maurice Dupin de Francueil, officier des guerres révolutionnaires et de l’Empire, appartenait à la noblesse française et était le petit-fils du comte Maurice de Saxe, maréchal de France sous le règne de Louis XV. Sa mère Sophie-Victoire Delaborde, fille d’un oiseleur installé quai des oiseaux à Paris, avait pratiqué divers métiers pour survivre avant de suivre en Italie son compagnon, un général affecté aux subsistances qui participait aux campagnes de Bonaparte.

Le capitaine Maurice Dupin de Francueil rencontra Sophie-Victoire en Italie. L’aristocrate rallié à la cause révolutionnaire et à celle du futur empereur tomba amoureux de la belle femme du peuple. L’officier l’épousa malgré l’opposition d’une partie de sa famille alarmée par ce qu’elle jugeait être un déclassement social. Amantine Aurore fut le fruit de leur amour. En 1808, Sophie-Victoire enceinte de sept mois de son second enfant décida de rejoindre en Espagne son époux qui servait sous les ordres de Murat. A peine arrivée, elle donna naissance à un fils Auguste, né aveugle. La guerre tourna à la défaveur des français et sonna l’heure de la retraite. La famille Dupin rejoignit au terme d’un long et dangereux périple le domaine paternel de Nohant dans l’Indre. A peine arrivé, le nourrisson Auguste mourut. Une semaine plus tard, le père se tua en tombant de cheval. Sophie-Victoire se retrouvait veuve et sa fille Aurore orpheline.

« Le mariage, un lien pesant »

L’enfant grandit entre sa mère et sa grand-mère Marie-Aurore de Saxe. La vieille aristocrate était imprégnée des idées du siècle des lumières. Elle se chargea de l’éducation d’Aurore. Elle la confia à un précepteur. A l’âge de 14 ans, on l’enferma pendant deux ans dans une pension pour jeunes filles. Un an plus tard, « sa meilleure ami », sa grand-mère mourut des suites d’une attaque cérébrale. Aurore devint la légataire de sa grand-mère mais étant encore mineure elle fut mise sous tutelle. Elle s’en affranchit en épousant à l’âge de 18 ans un avocat à la cour royale François Casimir Dudevant. Pourtant, dans une lettre à une amie rédigée en 1821, elle avait déclaré son scepticisme à l’égard de l’institution du mariage : « Depuis longtemps, je regarde le mariage comme un lien très pesant, et la perte de sa liberté la plus grande sottise que l’on puisse faire ». Elle mit au monde deux enfants, Maurice en 1823 et Solange en 1828. Mais, les relations s’aigrirent avec son époux, grossier, buveur, sans éducation, pressé de culbuter les servantes du château. Aurore s’émancipa en entretenant une liaison avec un avocat, petit-fils du défenseur de Louis XVI pendant la Révolution. En 1830, elle affirma son indépendance en quittant son époux – le divorce sera officialisé en 1836 – et en s’installant à Paris chez un écrivain Jules Sandeau. Le couple écrivit en commun un premier ouvrage Rose et Blanche en 1831 sous le nom de J. Sand.

L’année suivante, elle publia son premier roman Indiana et Valentine sous le pseudonyme de Sand. Elle choisit de faire précéder son nom d’écrivaine de George, un prénom ambiguë, féminin quand on le lit, masculin quand on le prononce à haute voix. Du reste, elle choqua ses contemporains en s’habillant en homme, pipe ou cigare au bec, en se mêlant à eux dans des cafés et autres lieux interdits aux femmes. Dans une lettre à un écrivain, elle expliqua en 1835 son intention en violant ainsi les codes de la société et de la bienséance : « Soyez rassuré, je n’ambitionne pas la dignité de l’homme. Elle me parait trop risible pour être préférée de beaucoup à la servilité de la femme. Je prétends posséder aujourd’hui et à jamais la superbe et entière indépendance dont vous seuls croyez avoir le droit de jouir. Je ne la conseillerai pas à tout le monde, mais je ne souffrirai pas qu’un amour quelconque y apporte, pour mon compte, la moindre entrave, sinon point d’amour, à jamais ».

Ses amants n’avaient qu’à bien se tenir. Jamais, ils ne pourraient l’asservir. Femme fatale avant l’heure, attirée par les amants plus jeunes qu’elle, elle multiplia les liaisons amoureuses. En voici la liste non exhaustive : le poète Alfred de Musset dont elle fit le portrait suivant : « Son cœur n’est pas mauvais, et sa fibre est très sensible mais son âme n’a ni force ni véritable noblesse. Elle fait de vains efforts pour se maintenir dans la dignité qu’elle devrait avoir » ; l’avocat républicain et socialiste Michel de Bourges à qui elle écrira : « C’est de vous que je rêve quand je m’éveille trempée de sueur, vous que j’appelle quand la nature sublime chante des hymnes passionnées et que l’air des montagnes entre dans mes pores par mille aiguillons de désirs et d’enthousiasme » ; le compositeur polonais Frédéric Chopin qu’elle jugea avec lucidité au moment de leur rupture en 1847 : « Le mal qui ronge ce pauvre être au moral et au physique me tue depuis longtemps, et je le vois s’en aller sans avoir jamais pu lui faire de bien, puisque c’est l’affection inquiète, jalouse et ombrageuse qu’il me porte, qui est la cause principale de sa tristesse. Il y a sept ans que je vis comme une vierge avec lui et avec les autres. Je me suis fait vieille avant l’âge, et même sans effort ni sacrifice, tant j’étais lasse des passions et désillusions-née sans remède. Si une femme sur terre devait lui inspirer la confiance la plus absolue, c’était moi, et il ne l’a jamais compris ; et je sais que bien des gens m’accusent, les uns de l’avoir épuisé par la violence de mes sens, les autres de l’avoir désespéré par mes incartades » ; l’ouvrier graveur et compagnon de l’écrivaine pendant quinze ans Alexandre Manceau, son cadet de quinze ans, dont elle dressa un portait saisissant : « Oui, je l’aime lui ! Il est né dans la misère, il n’a reçu aucune éducation, ni morale, ni autre. Il n’a fait aucune étude, il a été en apprentissage. C’est un ouvrier qui fait son métier en ouvrier, parce qu’il veut et sait gagner sa vie. Il est incroyablement artiste par l’esprit. Son intelligence est extraordinaire, mais ne sert qu’à lui, à moi par conséquent. (…) Il a de grands défauts, il est à la fois violent et calculé. Violent, il blesse affreusement ; calculé, il s’impose et cherche la domination. Ces deux défauts de son organisation le font haïr quand il ne le font pas aimer ».

Une femme engagée

Figure importante et respectée du monde littéraire, George Sand publia tout au long de sa vie des romans, des essais, des nouvelles, des pièces de théâtre. Une œuvre protéiforme, vaste, traitant de tous les sujets, comparable à maints égards à celle de Victor Hugo, son double masculin. Elle mit également son talent de romancière au service de ses idées républicaines et socialistes. Elle apporta son soutien à la révolution populaire de février-mars 1848 qui aboutit à la chute de la monarchie de Juillet, à l’abdication du roi Louis-Philippe 1eret à la proclamation de la deuxième République par Lamartine. Elle créa un journal La cause du peuple. Favorable au socialisme, elle analysa en 1848 avec lucidité les défis que la nouvelle idéologie révolutionnaire affrontait : « Tous les éléments sont en fermentation, le socialisme fait des progrès, mais le socialisme se fractionne en nuances très diverses, toutes ennemis les unes des autres et d’une intolérance extrême. Si notre cause qui se compose de tous ces éléments divers vient à triompher de la réaction, nous aurons des luttes de famille, et vous savez qu’elles sont les plus âpres et les plus douloureuses ». Deux ans plus tard, elle compléta son analyse : « Ce que je vois dans nos provinces centrales, ce que je viens de voir à Paris, ce qui se passe entre les chefs désunis et irrités, des diverses nuances de notre parti, me prouve tristement l’impossibilité d’agir efficacement par la politique d’ici quelques années. Le socialisme n’est encore qu’une tendance qui a besoin de temps pour se dégager du chaos des projets, des idées vraies et fausses, bonnes et mauvaises qui s’agitent dans les esprits ». En 1850 dans une lettre adressée à Guiseppe Mazzini, l’un des pères de l’unité italienne elle affirma : « Mon communisme suppose les hommes bien autres qu’ils ne sont, mais tels que je sens qu’ils doivent être ».

Entretemps, l’Assemblée constituante élue au printemps 1848 composée d’une majorité de républicains conservateurs et bourgeois avait, en juin 1848, envoyé la troupe contre les ouvriers parisiens qui s’étaient révoltés après la fermeture des ateliers nationaux. La répression dirigée par le général Cavaignac causa la mort de milliers de travailleurs. Meurtrie par l’échec de la révolution de 1848, Georges Sand s’installa au château de Nohant. L’ambiance bucolique et champêtre du Berry lui avait déjà inspiré l’écriture de Jeanne (1844) et de La Mare au diable (1846). Elle poursuivit dans ce filon rural avec François de Champi (1848), La petite Fadette (1849), Les maîtres sonneurs(1853).

Elle trouva également le temps pour correspondre avec les grands écrivains, intellectuels, artistes et hommes politiques de l’époque. Sa Correspondance (40 000 lettres) publiée après sa mort remplit 25 volumes et constitue un document irremplaçable sur l’histoire et le mouvement des idées au XIXème siècle.

En 1870, après la chute du second Empire qu’elle avait combattu, la « communiste » George Sand s’opposa à la Commune de Paris. Elle justifia sa position en expliquant qu’il fallait soutenir la République, même bourgeoise, pour éviter le retour de la monarchie. Un point de vue partagé par Emile Zola mais contredit par Victor Hugo. Le grand romancier pardonna à sa consœur son ralliement aux Versaillais. Quand il apprit son décès à la suite d’une occlusion intestinale, il déclara : « Je pleure une morte. Je salue une immortelle ».

(1)Les citations publiées dans cet article sont extraits du Dictionnaire George Sand, de Claire et Laurent Greilsamer (Perrin, 2014).

Illustration : Marc Daniau