Themes et figure de l’éducation nouvelle

 I. ORIGINES ET FONDEMENTS

 

1) Fin 19ème, début 20ème siècle : un important mouvement éducatif européen, occidental, qui met profondément en cause la pensée et la pratique pédagogiques établies.

 

Un mouvement nouveau, qui traversera le siècle, et aura provoqué des transformations majeures dans les idées et les pratiques pédagogiques.

 

Un mouvement dont les propos et les objectifs illustrent exemplairement la nature critique de toute doctrine pédagogique, comme l’avait bien vu Durkheim :

   » Leur objectif n’est pas de décrire ou d’expliquer ce qui est ou ce qui a été, mais de déterminer ce qui doit être. Elles ne sont pas orientées vers le présent, ni vers le passé, mais vers l’avenir. Elles ne se proposent pas d’expliquer fidèlement des réalités données, mais d’édicter des préceptes de conduite. Elles ne nous disent pas : voilà ce qui existe et quel en est le pourquoi, mais voilà ce qu’il faut faire. (…) Presque tous les grand pédagogues, Rabelais, Montaigne, Rousseau, Pestalozzi, sont des esprits révolutionnaires, insurgés contre les usages de leurs contemporains « .

« Nature et méthode de la pédagogie »(1911), in Education et sociologie (pp. 85/86 édition Alcan)

 

2) Aux sources de cette « révolution », une triple racine :

– a) La place désormais prépondérante de la science, et notamment de la science de l’éducation naissante.

La psychologie devient alors la science toute désignée pour fonder rationnellement la pédagogie. La pédagogie doit être une pédagogie appliquée.

 

– b) Seconde source, de nature politique : le projet de réforme de la société par l’éducation.

Sous la bannière de l’éducation nouvelle s’exprime la volonté de réformer l’éducation pour assurer le salut de l’humanité. Espérance d’un nouveau type d’homme, d’une éducation capable de supprimer dans leurs racines sociales et humaines les causes de la guerre.

 

– c) Une troisième source ne doit pas être négligée : le mouvement est aussi traversé d’une inspiration spiritualiste et religieuse.

 C’est bien Maria MONTESSORI qui écrit :

 « Lorsque l’on découvre les lois du développement de l’enfant, l’on découvre l’esprit et la sagesse de Dieu qui agit dans l’enfant« .

 Et aussi :

 « Les problèmes de l’éducation doivent trouver leur solution en raison de l’existence des lois de l’ordre cosmique« .

 Et c’est bien Adolphe FERRIERE qui voit à l’œuvre dans toute éducation une ascension vers l’Esprit.

 Pour ne rien dire de la pédagogie expressément théosophique de Rudolph STEINER !

 

Donc prendre en considération ces trois sources pour étudier les principaux thèmes de la pédagogie nouvelle. 

– Ainsi du thème de l’enfance, et de la fameuse révolution copernicienne, comme on peut en juger à la lecture de ce texte :

L’éducation nouvelle  » consiste vraiment en une attitude nouvelle vis-à-vis de l’enfant. Attitude faite de compréhension, d’amour (comme aussi bien fut celle d’un Pestalozzi), mais surtout attitude de respect. Attitude d’attente, de patience, attitude de la main délicate qui n’ose ni ouvrir un bouton de fleur ni déranger le bébé au cours de ses premières expériences, ni aussi bien l’écolier au cours de ses premiers travaux. Attitude d’acceptation de l’enfance comme une période nécessaire dans le développement de l’homme. Indulgence, plus qu’indulgence, admission des erreurs de l’enfant, de ses faux pas, de ses hésitations, de ses lenteurs. Désir souvent passionné de satisfaire ses besoins propres, même si la société doit attendre quelque peu pour que soient satisfaits les siens « .

Roger COUSINET, L’éducation nouvelle, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1968 (2ème édition), p.22-23.

 

3) L’éducation nouvelle, c’est aussi une constellation de pédagogues assez divers :

 John DEWEY (USA) 1859/1952

 Maria MONTESSORI (Italie) 1870/1952

 Ovide DECROLY (Belgique) 1871/1932

 Edouiard CLAPAREDE (France) 1873/1940

 Adolphe FERRIERE (Suisse) 1879-1960

 Roger COUSINET (France) 1881/1973

 Célestin FREINET (France) 1896/1966

 Etc.

Des pédagogues, et des philosophes, mais aussi (surtout ?) des psychologues, des médecins

Un « grand ancêtre » est revendiqué : Jean-Jacques ROUSSEAU. La filiation passe par Henri PESTALOZZI (1746 – 1827).

Le mouvement d’éducation nouvelle présente deux ou trois principales strates. 

La première vague, se situe à la charnière des 19ème/20ème siècle :

 L’expression « école nouvelle » semble apparaître en Angleterre (« New School« ), vers 1899, après la création par le pasteur Cédric REDDIE de l’école de ABBOTHSOLME. Elle inspirera la création de l‘école des Roches en octobre 1799 par Edmond DESMOLINS, après la publication et le succès de son ouvrage A quoi tient la supériorité des anglo-saxons ?

En 1894, John DEWEY avait créé l’école élémentaire expérimentale de l’Université de Chicago (Laboratory School).

La même année, KERSCHENSTEINER expérimente à Munich les premières écoles du travail (Arbeitsschule).

Adolphe FERRIERE fonde en 1899 le Bureau International des Ecoles nouvelles.

En 1900, Maria MONTESSORI ouvre à Rome la première Casa dei Bambini (Maison des enfants).

En 1907, Ovide DECROLY fonde à Bruxelles l’école de l’Hermitage et met en oeuvre une nouvelle méthode de lecture globale.

 La seconde vague, au lendemain de la première guerre mondiale :

 Fondation des Communautés libres de Hambourg.

En 1921, réation de l’Association pour l’éducation nouvelle et organisation du premire Congrès international d’éducation nouvelle.

La même année, en Angleterre, NEILL crée la célèbre école de SUMMERHILL

En 1922, aux USA, PARKHURST et le Plan Dalton (prônant la méthode du travail individualisé)

La même année, WASHBURNE dirige l’école de Winnetka (méthode nouvelle en sciences et mathématiques).

La revue Pour l’ère nouvelle est fondée en 1923.

Jean PIAGET publie ses premiers ouvrages de psychologie de l’enfant.

En 1925, Roger COUSINET publie sa Méthode de travail libre par groupes

Célestin FREINET invente l’imprimerie à l’école dans la même période.

 

Peut-on parler d’une troisième vague, autour des années 70 ?

 

4) L’éducation nouvelle a été en effet aussi un mouvement « organisé », lié à la fois au développement de la psychologie de l’enfant et à l’histoire de la société.

 Il a son bureau international, ses congrès, aujourd’hui ses archives.

 

5) Le point commun : la volonté de rompre avec la pratique et l’esprit de l’éducation traditionnelle.

 C’est le point de rencontre de conceptions en fin de compte assez diverses.

 Il est systématiquement exprimé dans ce texte de FREINET :

 « Il y a entre les Méthodes traditionnelles et nos Méthodes naturelles une différence fondamentale de principe, sans la compréhension de laquelle toutes appréciations seraient toujours injustes et erronées : les méthodes traditionnelles sont spécifiquement scolaires, créées, expérimentées et plus ou moins mises au point pour un milieu scolaire qui a ses buts, ses modes de vie et de travail, sa morale et ses lois, différents des buts, des modes de vie et de travail du milieu non scolaire et que nous appellerons milieu vivant.

 C’est l’existence même de ce milieu scolaire tel qu’il est que nous jugeons irrationnel, retardataire, dangereusement décalé par rapport au milieu social et vivant contemporain et impuissant, de ce fait, à faciliter et à préparer l’éducation bien comprise qui formera en l’enfant l’homme de demain, conscient de ses droits, mais capable aussi de remplir ses devoirs dans le monde qu’il doit construire et dominer« .

« Méthodes naturelles et méthodes traditionnelles », in La méthode Naturelle, Editions Marabout, p. 28.

 

 Ou encore dans cet extrait de Expérience et éducation de J. DEWEY :

 « Si l’on essaie de dégager la philosophie impliquée dans les pratiques de l’éducation nouvelle, on peut, me semble-t-il, discerner certains principes communs à toutes les écoles progressives existantes, en dépit de leur diversité. A ce qui s’impose du dehors, on oppose l’expression de la culture de la personnalité ; à la discipline externe, l’activité libre ; à l’enseignement qui procède des manuels et des livres, celui de l’expérience ; à l’acquisition d’aptitudes particulières obtenues par dressage, celles qui permettent l’accomplissement de fins liées aux tendances profondes ; à la préparation d’un avenir plus ou moins éloigné, la saisie intégrale des possibilités qu’offre le présent ; aux buts et à la manière statiques des programmes, le commerce avec le monde en perpétuel changement« .

Expérience et éducation (1939) Armand Colin, Paris, 1968, p. 60.

 

Ce texte est fondé sur une série d’oppositions systématiques, un système d’oppositions construit dans une visée polémique, stratégique :

 

 

 

EDUCATION TRADITIONNELLE EDUCATION NOUVELLE
Culture imposée du dehors

 

Discipline externe

 

Manuels

 

Dressage

 

A-venir

 

Programmes statiques

Expression du dedans (personnalité)

 

Activité libre

 

Expérience

 

Accomplissement

 

Présent

 

Monde réel et mouvant

 

6) Les doctrines de l’éducation nouvelle se rencontrent en trois points de basculement de la pédagogie :

 – La conception de l’enfance et des buts de l’éducation – La conception de l’école (l’institution scolaire)

 – La conception du rôle de l’éducateur

  

II. LA DECOUVERTE DE L’ENFANCE

 

1. L’enfance est un état réel et authentique

Et non pas une simple voie d’accès à l’état adulte, une condition subalterne dont il faudrait se débarasser.

Sortir du pessimisme de la pensée classique.

Une découverte dont l’éducation nouvelle accorde la paternité à Rousseau :

Rousseau « affirme que l’enfance n’est pas du tout une voie d’accès, une préparation, mais qu’elle a une valeur en soi, une valeur positive, et qu’on doit non maintenir les yeux de l’enfant fixés sur l’issue de cette voie et le guider pour qu’il en sorte le plus tôt possible, mais au contraire lui permettre d’y séjourner le plus longtemps possible. Voilà la nouveauté pédagogique à laquelle Claparède a pu donner sans exagération le nom de  » révolution copernicienne « . Voilà l’idée maîtresse qui domine toute la pédagogie nouvelle, qui la distingue radicalement de toute l’ancienne. Jusqu’à Rousseau l’éducation consiste à préparer l’enfant à devenir adulte; avec Rousseau l’éducation consiste à l’empêcher de devenir (trop tôt) un adulte. Il faut que l’enfance, du premier âge à la puberté au moins, s’accomplisse, parvienne à sa maturité, parce qu’il y a  » une maturité de l’enfance »; il faut que, puisque nous considérons comme l’adulte idéal l’homme fait, nous admettions que l’enfant idéal est « l’enfant fait ». Quand nous lui aurons permis de se faire, d’être fait en tant qu’enfant, alors, mais alors seulement, nous pourrons examiner le problème de son passage à un stade ultérieur, et de la meilleure manière dont peut s’effectuer ce passage« .

Roger COUSINET, L’éducation nouvelle, Neuchâtel, Delachaux et Nietslé, 1968, pp.27/28

 

Après Rousseau, l’éducation nouvelle découvre la valeur fonctionnelle de l’enfance.

 « J.-J. Rousseau est certainement le premier qu’ait préoccupé la question du pourquoi de l’enfance, et il en a même donné une réponse si satisfaisante que celles que l’on propose aujourd’hui ne font guère que développer, préciser, grâce aux lumières nouvelles de la science contemporaine, l’esquisse que, dans une extraordinaire intuition de génie, il avait tracée d’une main si sûre.

 » On se plaint de l’état de l’enfance; on ne voit pas que la race eût péri si l’homme n’eût commencé par être enfant « , déclare-t-il tout d’abord. Et cette déclaration, notons-le bien, n’est pas une simple remarque lancée incidemment; elle figure à la première page de l’Emile. C’est sur elle et sur d’autres analogues que va reposer tout son système éducatif. Rousseau a fort bien compris que prendre une attitude à l’égard de l’enfance, s’enquérir de la valeur de l’enfance, est le premier devoir d’un éducateur soucieux. Tout le sens que l’on va donner à l’éducation ne dépend-il pas de la signification positive ou négative que l’on attribue à l’enfance ? Or Rousseau prend immédiatement position; il en tient pour la solution positive : sans l’état d’enfance, la race eût péri. Cette simple remarque, d’apparence bien pacifique, est grosse pourtant de toute la révolution que l’Émile va déchaîner dans le monde de la pédagogie. Car elle suscite immédiatement une question que l’éducateur ne pourra plus ne pas se poser, et qui va le conduire fort loin. Si la race eût péri sans l’état d’enfance, c’est que l’enfance est utile. En quoi alors est-elle utile ? L’enfance n’est donc pas cet état d’imperfection qu’il faut s’efforcer de corriger au plus tôt ? L’enfance serait donc un bien et non un mal nécessaire ? »

Edouard CLAPAREDE, « Jean-Jacques Rousseau et la conception fonctionnelle de l’enfance », in L’éducation fonctionnelle, Neuchâtel, Delachaux et Nietslé, 1968, pp. 79/80.

  

IL y a bien en effet chez Rousseau une valeur propre de l’enfance :  

  • une raison propre à l’enfant 
  • un équilibre propre à l’enfant 
  • une « maturité » enfantine 
  • un bonheur de l’enfance 
  • une négation du péché originel.

 (Là-dessus, voir Georges SNYDERS, La pédagogie aux 17ème et 18ème siècles, Paris, PUF)

 L’enfance est donc pour l’humanité à la fois une dimension… et un modèle.

 

2. Une « révolution copernicienne »

 La formule appartient à Claparède : ce ne sera plus l’élève qui tournera autour du programme, mais le programme qui sera centré sur l’enfant.

 « L’enfant est le point de départ, le centre, le but » (John Dewey).

 « L’intérêt pour le gribouillage doit être mis en œuvre tout de suite, et il faut en tirer tout le bien possible sans tarder, sans s’occuper du fait que dans dix ans l’enfant aura à tenir des livres » (John Dewey).

 

 Chez Roger Cousinet, la révolution conduit jusqu’à une sorte d’inversion de la relation éducative :

 « L’éducation nouvelle n’est pas conditionnée par une plus juste connaissance de la psychologie de l’enfant et des travaux des psychologues, ni par le compte que la pédagogie doit tenir de ces travaux. Elle consiste vraiment en une attitude nouvelle vis-à-vis de l’enfant. Attitude faite de compréhension, d’amour (comme aussi bien fut celle d’un Pestalozzi), mais surtout attitude de respect. Attitude d’attente, de patience, attitude de la main délicate qui n’ose ni ouvrir un bouton de fleur ni déranger le bébé au cours de ses premières expériences, ni aussi bien l’écolier au cours de ses premiers travaux. Attitude d’acceptation de l’enfance en tant que telle, reconnaissance de la valeur de l’enfance comme une période nécessaire dans le développement de l’homme. Indulgence, plus qu’indulgence, admission des erreurs de l’enfant, de ses faux pas, de ses hésitations, de ses lenteurs. Désir souvent passionné de satisfaire ses besoins propres, même si la société doit attendre quelque peu pour que soient satisfaits les siens. Conviction que plus l’enfant est pleinement, longuement enfant, plus et mieux il deviendra un bon adulte. Affirmation que l’enfant vit de bonheur et dans le bonheur, qu’il doit être heureux, et que l’éducateur doit d’abord veiller à ce qu’il soit heureux, même si c’est aux dépens des fins éducatives qu’il vise; que nous, adultes, avons tout à gagner à laisser le plus longtemps possible l’enfant dans cet âge d’innocence première, et à nous baigner nous-mêmes aux sources de cette innocence, au lieu de vouloir à tout prix le former à notre image, qui ne mérite pas de servir de modèle. Conviction que l’enfant a en soi tout ce qui permet une vraie éducation, et en particulier une activité incessante, incessamment renouvelée, dans laquelle toute sa personne est engagée, l’activité d’un être en croissance, en développement continu, auquel, précisément pour cette raison, notre aide peut être utile, mais notre direction n’est pas nécessaire. »

L’éducation nouvelle, pp. 22/23.

 

 La conception de l’enfance – et la dignité qu’elle lui reconnaît – commande la conception de l’éducation. L’éducateur doit respecter la dignité de l’enfance, prendre l’enfance au sérieux.

 L’éducateur doit prendre en charge la réalité présente de l’enfance, ses besoins et ses désirs actuels.

 Il doit établir un rapport profond entre les motivations de l’enfant et les tâches scolaires

  • Relation directe entre le monde de l’école et celui de l’enfant
     
  • Greffe du savoir sur les besoins de l’enfant :
     

    • Claparède parle de « l’appétit » : l’enfant doit aller vers les connaissances comme vers des aliments capables d’assouvir ses besoins.  
    • John Dewey du véritable « intérêt » : Il y a intérêt authentique « lorsque le moi s’identifie avec une idée ou un objet…L’intérêt annihile la distance qui sépare une conscience des objets de son activité« . L’effort au contraire établit une coupure entre le moi et la tâche à accomplir.

      Cf. John Dewey, « L’intérêt et l’effort » (1912), in L’école et l’enfant, Delachaux et Niestlé. 

       

    • Célestin Freinet avance la notion de « travail-jeu«  : « Une activité que l’on sent si intimement liée à l’être qu’elle en devient comme une fonction dont l’exercice est par lui-même sa propre satisfaction« . 

       

       

    • Cousinet affirme que les besoins de l’enfant doivent commander le curriculum : « Le traditionaliste construit artificiellement le milieu (le programme) et s’efforce d’y adapter l’enfant. l’éducation nouvelle prend les besoins de l’enfant comme données et organise le milieu de manière que ces besoins puissent y être satisfaits, adapte le milieu à l’enfant » (L’éducation nouvelle, p. 107).

 

 On peut toutefois se demander si la notion de besoin, centrale dans l’éducation nouvelle, ne doit pas faire l’objet d’une nécessaire analyse critique. Ne confond-elle pas ce qui est de l’ordre de la nature et ce qui est de l’ordre de la culture ? Ne conduit-elle pas à « biologiser » les apprentissages ?

 On peut s’interroger sur le sens et la portée de la valeur suprême accordée à l’enfance, « contre » l’adulte, comme chez Cousinet, affirmant « que nous, adultes, avons tout à gagner à laisser le plus longtemps possible l’enfant dans cet âge d’innocence première, et à nous baigner nous-mêmes aux sources de cette innocence, au lieu de vouloir à tout prix le former à notre image, qui ne mérite pas de servir de modèle« .

N’est-il pas nécessaire, comme le pensait Hannah Arendt que les adultes assument la responsabilité du monde, pour permettre aux enfants, à l’enfant futur citoyen, de le critiquer ?

  

3. L’initiative : activité et liberté

L’éducation nouvelle s’identifie largement à « l’Ecole active« .

 A la base, l’idée que l’activité vraie exige l’exercice de l’autonomie

 

  • travail non imposé, mais contracté  
  • dont l’élève se sent et est responsable dans toutes ses dimensions (texte libre, correspondance scolaire, journal, débat, enquête…)  
  • qui l’affronte à des difficultés réelles, éducatives 
  • qui développe la confiance en soi

 Initiative, liberté, responsabilité sont des termes clés. Dans l’école active « tout, jusqu’au programme lui-même, doit émaner de l’initiative spontanée des élèves – initiative suggérée, orientée, précisée par le maître, cela va de soi » (Adolphe FERRIERE)

 

On distinguera, deux conceptions de l’enfant actif :  

 

  • Sous le signe de la volonté. Agir c’est vouloir. Apprentissage du gouvernement de soi-même, de l’action volontaire. 
  • Sous le signe de la mobilité de l’enfance, âge du plaisir de l’activité variée, du mouvement libre, des intérêts mouvants, du présent renouvelé, du désir, de « l’essor sans contrainte ».

 L’éducation nouvelle hésite entre ces deux conceptions qui sont deux anthropologies différentes.

  

On notera enfin comment la thématique des besoins de l’enfant recouvre une conception de l’enfance partagée entre une vision « scientifique » de l’enfance (« l’enfant-machine », explicable selon des lois de fonctionnement et de développement) et une vision « axiologique » (l’enfant valeur, l’enfant créateur).

 

III. L’ECOLE OUVERTE

 

La notion « d’école ouverte » est également associée étroitement à l’éducation nouvelle. La révolution copernicienne rompt la clôture instituée de l’école.

1.  Pour réconcilier la culture (l’école) et la vie  

 

  • Une école où l’enfant vive des événements qui soient des moments de sa vie d’enfant.  
  • Un langage de mots vrais, pour une communication authentique 
  • Du savoir qui soit « savoir d’expérience » (Ferrière).  
  • Des tâches scolaires qui touchent au réel (par exemple le jardinage chez FREINET)

2. Pour une socialisation au service de la démocratie

 

 

  • Le travail de groupe, la gestion, l’autogestion, la vie de classe, comme apprentissage de la vie sociale réelle 
  • Le groupe comme communauté : diversification des rôles, enrichissement mutuel, solidarité.

 

Il faut s’interroger ici sur la légitimité d’assimiler communauté d’enfants et société réelle.

 

 IV. LA FIGURE DU MAITRE

 

L’éducation nouvelle entend substituer l’apprentissage de l’écolier à l’enseignement du maître.

 L’action de l’éducateur ne doit donc pas s’exercer sur l’enfant, mais sur le milieu. L’éducateur aménage le milieu en sorte que les intérêts de l’enfant puissent s’exprimer et enclencher les apprentissages actifs et motivés.

 La démarche suppose le respect de la spontanéité de l’enfant. Il faut organiser le milieu en sorte que l’enfant progresse par son propre élan.

 

Le maître, la fonction magistrale ont-ils « disparu » ? Ou bien ne se sont-ils pas déplacés, « dissimulés » dans le milieu et le matériel pédagogique ? C’est la thèse que développe Georges SNYDERS dans La pédagogie progressiste (Paris, PUF, 1971).

 

La pédagogie développée par Maria MONTESSORI est bien l’exemple d’un transfert des pouvoirs magistraux au matériel pédagogique :

 « Le matériel n’est pas une aide pour faire comprendre ce qu’explique le maître, le matériel est vraiment une substitution au maître enseignant » (Maria Montessori, Les étapes de l’éducation).

 

 

V. EDUCATION TRADITIONNELLE / EDUCATION NOUVELLE : UNE VRAIE/FAUSSE SYMETRIE

La pédagogie traditionnelle contre laquelle s’est construit l’éducation nouvelle ne constitue pas une école, un mouvement pédagogique réfléchi et organisé, une doctrine vivante.

 

Cette pédagogie a tous les traits d’une tradition : sédimentation -conservation des gestes antérieurs ; adaptation progressive à de nouveaux contextes ; aspect prescriptif ; ritualisation des comportements.

 

Plutôt que d’une doctrine, il s’agit d’une tradition pédagogique ; elle est le résultat de la transmission empirique des habiletés, des savoir faire pédagogiques concernant les contenus à enseigner et tous les aspects de la vie de la classe, mis au point par les maîtres de génération en génération notamment dans le cours du XVIIème siècle, et aboutissant à un code d’enseignement uniforme, un corps rigide de pratiques codifiées, comme on peut le voir dans la Conduite des écoles chrétiennes (1705) de Jean-Baptiste de la Salle. Il rend visible la forme scolaire.

 

La pédagogie traditionnelle constitue ainsi un dispositif qui se perpétue sans modifications profondes jusqu’au début du XXème siècle. Elle atteint son apogée dans l’enseignement mutuel.

 

L’éducation nouvelle est bien à la charnière du passage de la tradition à la modernité. Dans cette perspective; l’éducation nouvelle s’est elle-même définie stratégiquement dans une opposition systématique à l’éducation :

 

 

 

Finalité de l’éducation  Transmettre la culture objective aux générations montantes

Former, mouler l’enfant

Valeurs objectives (Vrai, Beau, Bien)

 

« Transmettre » la culture à partir des forces vives de l’enfant

Permettre le développement des forces immanentes à l’enfant

Valeurs subjectives, personnelles

Méthode

 

 

 

 

 

 

 

 

Méthode

(suite)

Eduquer de « dehors » vers le « dedans »

Point de départ : le système objectif de la culture que l’on découpe en parties à assimilés (éléments)

Pédagogie de l’effort

Importance du modèle

Encyclopédisme

Eduquer du « dedans » vers le « dehors »

Point de départ : le côté subjectif, personnel de l’enfant

Pédagogie de l’intérêt

Ecole active, learning by doing

Education fonctionnelle

Conception de l’enfant L’enfance est comme une cire molle

L’enfance a peu de valeur comparée à l’état adulte

Il faut agir sur l’enfant

L’intelligence est surtout visée

L’enfant « tourne » autour d’un programme défini en dehors de lui

L’enfance a des besoins, des intérêts, une énergie créatrice

L’enfance a (est) une valeur en elle-même

L’enfant agit

Il y a développement intégral de l’enfant

Le programme gravite autour de l’enfant

 

Conception du programme

 

Le contenu à enseigner aux enfants est déterminé par la culture objective

Les contenus valent par eux-mêmes

 

Les intérêts des enfants déterminent le programme (structure et contenu)

Les contenus sont liés au milieu dans lequel vit l’enfant

Conception de l’école Un milieu artificiellement créé

Retenue des émotions (distance « impersonnelle »)

Là-Bas, jadis

L’école comme préparation à la vie

Un milieu de vie (naturel et social) fait pour l’enfant

Spontanéité enfantine

Ici et maintenant

L’école fait vivre à l’enfant ses propres problèmes

 

 

Rôle du maître

 

Le maître dirige

Il est au centre de l’action et transmet son savoir

Il est actif, modèle à imiter

 

 

Le maître guide, conseille : personne-ressource

L’enfant est au centre de l’action

L’enfant agit, s’exerce

Discipline Autorité magistrale

Discipline extérieure

Autonomie basée sur les intérêts

Discipline qui vient de l’intérieur

Démarche pédagogique Pédagogie de l’objet : la culture à transmettre

Pédagogie de l’exercice et de l’ordre méthodique

Pédagogie du sujet : la personne à développer

Pédagogie naturelle de l’ordre spontané

 

On voit bien comment la conception de l’enfance est au coeur de cette opposition systématiquement déclinée.

 

Célestin Freinet, dans ses Invariants pédagogiques (On peut les lire à la fin de l’édition de Pour L’école du peuple (éditions Maspéro)), fait de la capacité de l’enseignant à intégrer cette conception de l’enfance (par exemple : être plus grand que l’enfant n’est pas lui être supérieur…) un critère majeure de ses « progrès » pédagogiques sur le chemin d’une autre éducation

Il faut toutefois regarder ce « portrait en négatif » comme une stratégie de combat. L’école nouvelle a créé une sorte de repoussoir pour les besoins de sa cause. On ne confondra pas trop vite la pédagogie traditionnelle avec la caricature qu’on en tire en oubliant le contexte et la stratégie de l’école nouvelle.

Un exemple à propos d’une célèbre métaphore comparant l’élève à une cruche qu’il faut remplir. La métaphore d’origine, sous la plume de Jouvency au XVIIème siècle est bien plus subtile et nuancée : « Le maître n’oubliera pas que l’esprit des enfants est comme un petit vase d’étroite embouchure, qui rejette la liqueur qu’on y jette à flots et qui reçoit celle qu’on y introduit goutte à goutte« .

.

CONCLUSIONS

 L’éducation nouvelle s’est elle-même définie stratégiquement dans une opposition systématique à l’éducation traditionnelle

Ces oppositions systématiques et stratégiques, peuvent se formuler autour de quelques points d’articulation et opposition (cf supra) : Finalité de l’éducation, Méthode, Conception de l’enfant, Conception du programme, Conception de l’école, Rôle du maître, Discipline, Démarche pédagogique.

 

Toutefois, on ne peut se contenter d’enfermer la signification et la portée de l’éducation nouvelle dans ces oppositions trop simplificatrices.

 

Il s’agit d’un mouvement profond qui traverse le siècle, et n’est sans doute pas dissociable du mouvement des idées et de la société. Comme l’écrit Philippe RAYNAUD, « la pédagogie moderne est d’abord une des traductions les plus visibles de la logique de la démocratie moderne ; elle est centrée sur les besoins de l’individu » (« L’école de la démocratie« , in Le débat, n° 64, mars-avril 1991, p. 42). En effet :

« La pédagogie moderne, telle qu’elle se développe de Peztalozzi à Piaget, repose sur ce qu’on peut appeler un  » renversement copernicien  » dans la définition des tâches de l’école : au lieu de partir des exigences abstraites ou externes de la société ou de l’école pour définir l’enseignement que l’on doit donner aux individus, on part des « besoins » de ces derniers pour créer un milieu éducatif où ils pourront réussir les  » apprentissages » nécessaires à leur  » développement  » .

Philippe RAYNAUD et Paul THIBAUD, La fin de l’école républicaine, Paris, Calmann-Levy, 1990,p.58.

 

Les doctrines de l’éducation nouvelle (comme toutes les doctrines éducatives) doivent être pensées dans toutes leurs dimensions : pédagogiques, mais aussi scientifiques, politiques, sociales, philosophiques, voire religieuses.

BIBLIOGRAPHIE GENERALE

CLAPAREDE E., L’éducation fonctionnelle, Neuchâtel, Delachaux Niestlé, 1973;

COUSINET R., L’éducation nouvelle, Neuchâtel, Delachaux Niestlé, 1968.

GAUTHIER C., « De la pédagogie traditionnelle à la pédagogie nouvelle », in La pédagogie, théories et pratiques de l’Antiquité à nos jours, Montrréal, Gaëtan Morin, 1996.

HAMELINE D. et col, L’éducation nouvelle et les enjeux de son histoire, Bern, Peter Lang, 1992

HAMELINE D., et col., L’école active. Textes fondateurs, Paris, PUF, 1995.

MEDICI A., L’éducation nouvelle, Paris, PUF, 1969.

MIALARET G., Education nouvelle et monde moderne, Paris, PUF, 1969.

SNY.DERS G., La pédagogie progrssiste, Paris, PUF, 1975;