George Sand fils de Jean-Jacques.

 Textes établis, présentés et annotés par Christine Planté

Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2012
Marie-Claire Hoock-Demarle
Référence(s) :

George Sand fils de Jean-Jacques. Textes établis, présentés et annotés par Christine Planté, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2012, 258 p.

Christine Planté nous a habitués à des généalogies inattendues et à des regroupements familiaux insolites, sa « petite sœur de Balzac », dans la lignée de la sœur de Shakespeare chère à Virginia Woolf, en est un exemple bien connu. Avec George Sand fils de Jean-Jacques, elle nous entraîne dans une histoire de filiation qui, cette fois, n’est pas de son invention mais s’inscrit dans l’histoire littéraire du xixe siècle et dans l’histoire personnelle de George Sand. Celle-ci s’est elle-même qualifiée non de « fille de Jean-Jacques » mais bien de « fils de Jean-Jacques » et a consacré à cette filiation tant intellectuelle qu’individuelle deux écrits : un article, « À propos des Charmettes », paru dans la Revue des Deux Mondes, et un roman inachevé, Mémoires de Jean Paille, tous deux datés de 1863 et reproduits ici. La présentation en miroir des deux textes est particulièrement éclairante, car, outre le fait qu’elle souligne la multiplicité des écritures de Sand, du documentaire journalistique à la critique littéraire et au récit de fiction, elle permet de saisir une continuité complexe et mouvante dans la perception de Jean-Jacques par George Sand, surtout si l’on y ajoute l’article de 1841, « Quelques réflexions sur Jean-Jacques Rousseau », rédigé dans une période d’engagement socialiste de la romancière et ajouté ici en annexe (p. 207-227).

Autour de ces deux textes, l’ouvrage, relativement bref (258 pages), se présente comme un emboîtement d’écrits de statuts divers, avant-propos général, introduction spécifique à chacun des écrits sandiens et annexes puisées dans la production critique de Sand et dans Histoire de ma vie. L’avant-propos de l’ouvrage s’avère très pertinent dans la mesure où, après un rappel des liens de la famille avec Rousseau par le biais des grands-parents et surtout de la grand-mère Dupin de Franceuil, il permet de souligner la place de Rousseau dans l’éducation, les lectures et l’éveil à l’écriture de George Sand, mais aussi de retracer la perception des contemporains de Sand qui la saisissent « comme une descendante littéraire de Rousseau, voire comme une sorte de réincarnation » (p. 10). Chaque introduction aux textes sandiens tente de contextualiser au plus près un rapport à Rousseau fait de fidélité à l’auteur du Contrat social, à « l’homme qui portait l’humanité future dans ses entrailles », et de distance vis-à-vis du père indigne et même de l’auteur des Confessions : « J’admire son livre mais je le désapprouve comme une assez mauvaise action ». Mais elles s’interrogent aussi, avec beaucoup de justesse, sur le thème de la continuité dans une époque coupée par la Révolution française : « Inventer des histoires de ‘fils de’ revient à se demander quelle continuité est encore possible, et pensable, après la Révolution, dans l’histoire des individus, des familles et de la nation » (p. 70).

La seconde grande question mise en avant surtout dans l’introduction aux Mémoires de Jean Paille, fils supposé de Jean-Jacques sur les traces des dernières heures de son père à Ermenonville, concerne le statut et la mise en œuvre de la fiction qui repose sur un mécanisme d’identification très conscient : « En dépit de l’apparente simplicité du récit… s’y superposent réalité historique et fiction, temps de Rousseau et temps de l’écriture » (p. 48). L’introduction au second texte, « À propos des Charmettes », relation d’une visite à ce lieu de mémoire faite en 1861, montre que, « comme l’indique son titre ‘A propos des Charmettes’, l’article ne s’en tient pas à une description du lieu. Il propose une réflexion plus générale sur Rousseau et sur la dette multiforme que les contemporains devraient reconnaître à son égard… » (p. 150). À la nuance près, qui ressort de la mise en perspective des deux textes sandiens, que l’auteure focalise davantage ici sur le biographique, sur l’homme Rousseau et sa conduite immorale comme père abandonnant ses enfants et peine à concilier le père indigne et « le père de la Révolution ». Le thème de la filiation reste présent mais perd en force. Enfin, quelques digressions bienvenues soulignent combien l’éditrice des textes sait faire jaillir d’un simple thème alors à la mode toute une réflexion sur les valeurs et les débats de fond de l’époque, qu’il s’agisse de celle de Rousseau ou de celle de George Sand, habilement mises en miroir. Il en est ainsi, quand le dernier séjour et la mort de Rousseau dans le parc d’Ermenonville tels que perçus par Sand nourrissent une belle réflexion « à propos des jardins et de l’art des jardins » (p. 52-67), où le jardin-paysage devient questionnement sur la filiation, la mort mais aussi sur la propriété – donc l’inégalité – et les rapports nature-culture. Entre textes d’auteur, approches contextuelles et questionnements sans cesse renouvelés, George Sand fils de Jean-Jacques montre fort bien la diversité dans la continuité qui marque la lecture inter-générationelle de Rousseau par George Sand.

Référence électronique

Marie-Claire Hoock-Demarle, « George Sand fils de Jean-Jacques. Textes établis, présentés et annotés par Christine Planté », Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 38 | 2013, mis en ligne le 08 janvier 2014, consulté le 13 juin 2018. URL : http://journals.openedition.org/clio/11781

Auteur

Marie-Claire Hoock-Demarle

Université Paris-Diderot. Laboratoire ICT

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