Expliquer le texte suivant :
Le penchant de l’instinct est indéterminé. Un sexe est attiré vers l’autre, voilà le mouvement de la nature. Le choix, les préférences, l’attachement personnel sont l’ouvrage des lumières (1), des préjugés, de l’habitude : il faut du temps et des connaissances pour nous rendre capables d’amour, on n’aime qu’après avoir jugé, on ne préfère qu’après avoir comparé. Ces jugements se font sans qu’on s’en aperçoive, mais ils n’en sont pas moins réels. Le véritable amour, quoi qu’on en dise, sera toujours honoré des hommes ; car, bien que ses emportements nous égarent, bien qu’il n’exclue pas du cœur qui le sent des qualités odieuses et même qu’il en produise, il en suppose pourtant toujours d’estimables sans lesquelles on serait hors d’état de le sentir. Ce choix qu’on met en opposition avec la raison nous vient d’elle ; on a fait l’amour aveugle parce qu’il a de meilleurs yeux que nous, et qu’il voit des rapports que nous ne pouvons apercevoir. Pour qui n’aurait nulle idée de mérite ni de beauté, toute femme serait également bonne, et la première venue serait toujours la plus aimable. Loin que l’amour vienne de la nature, il est la règle et le frein de ses penchants.
1. L’ouvrage des lumières : l’ouvrage de la raison.
La connaissance de la doctrine de l’auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.
Pistes d’analyse
Eléments pour une introduction
Thème : L’amour. Plus précisément, une comparaison entre la sexualité et l’amour véritable.
Thèse : Contrairement à l’instinct sexuel qui est naturel, l’amour véritable est raisonnable.
Structure : Le texte n’a pas une structure linéaire. Les deux thèses sur l’instinct et sur l’amour s’entrecroisent tout au long du texte pour aboutir à l’affirmation de la thèse de Rousseau : l’amour ne vient pas de la nature, mais de la raison.
Éléments pour une étude détaillée
Plan de l’explication
La structure du texte n’étant pas linéaire, il vaut mieux donc adopter un plan thématique pour l’explication, par exemple :
- Examen de la première thèse de Rousseau : l’instinct sexuel est naturel (première phrase du texte et avant dernière phrase). La sexualité est innée, non contrôlée, non sélective.
- Examen de la deuxième thèse de Rousseau : l’amour est raisonnable (corps du texte de « Le choix, les préférences … » à « …que nous ne pouvons apercevoir. ».) L’amour est acquis, contrôlé, sélectif.
- Première étape : l’amour suppose un choix rationnel. (Raison théorique)
- Deuxième étape : l’amour est un sentiment moral. Il est donc raisonnable. (Raison pratique)
- Toisième étape : l’amour n’est donc ni fou ni aveugle.
Conclusion : l’amour ne vient pas de la nature mais de la raison. (Dernière phrase)
Problématique
Au-delà de la comparaison entre l’instinct sexuel et l’amour, ce qui est en jeu est la relation entre nature et culture d’une part et passion et raison d’autre part.
Contrairement à l’opposition classique entre passion et raison, Rousseau les associe. La passion, pour lui, est fondée sur la raison. Nous ne sommes capables de passion que parce que nous sommes des êtres raisonnables. La passion ne s’oppose pas à la raison mais à l’instinct. L’attirance sexuelle est naturelle, mais ce n’est pas de l’amour. Si la nature est à l’origine de l’attirance sexuelle, la raison est à l’origine de la préférence amoureuse.
Eléments pour une discussion
- On peut comparer la position de Rousseau à celles de Kant et de Hegel si cela n’a pas déjà été fait dans l’explication. Comme Kant, Rousseau lie raison et passion, mais contrairement à lui, il ne considère pas la passion comme une maladie de la raison qui entraverait la liberté, mais comme une expression de la liberté (par le libre choix de l’être aimé). En ce sens, il est un précurseur deHegel pour qui « rien de grand ne s’est jamais accompli sans passion. »
- Est-il si facile de dissocier amour et sexualité ? L’originalité de la thèse de Rousseau est de réhabiliter la passion. Mais en ramenant la sexualité humaine à un simple instinct naturel, il en sous-estime la complexité et la valeur. Est-il si sûr que l’élan sexuel soit indéterminé au sens où l’entend Rousseau? Peut-on si facilement distinguer en l’homme ce qui relève de la nature et ce qui relève de la culture (« des lumières, des préjugés, de l’habitude »)?
Quelques lectures pour approfondir
- Merleau-Ponty: tout est naturel et tout est culturel en l’homme
- Rousseau: malheur à qui n’a plus rien à désirer
Nature et culture