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QU’EST-CE QU’UNE AUTOBIOGRAPHIE ?
MODÈLES ET PROBLÈMES DE LA CONFESSION
- Nous croyons tous savoir de manière intuitive ce qu’est une autobiographie, soit, selon les termes grecs qui composent le mot, le témoignage écrit de sa propre vie. Et nous avons tous tendance à considérer, à première vue, ce genre comme un phénomène universel, commun à tous les temps et à toutes les cultures, puisque l’homme a toujours cherché à laisser un témoignage de lui-même, et par là de sa propre vie.
En réalité, lors de congrès spécifiques consacrés à l’ “invention de l’autobiographie” dans le monde antique1, la question s’est posée justement de savoir si la culture grecque connaissait cette forme d’exposition : et l’on peut citer des exemples célèbres, comme le récit d’Ulysse au royaume d’Alcinoos (Livres IX-XII), la Lettre VII de Platon ou certaines parties des Métamorphoses d’Apulée (Livre XI). Les parties autobiographiques des lettres de Saint Paul montrent, elles aussi, tout comme la Lettre VII de Platon et l’Apologie de Socrate, que le but fondamental est la défense de sa propre action, qui tend à rétablir le rapport entre l’individu et la communauté (et non à mettre en relief la personnalité individuelle). Toutefois, malgré l’extrême importance de ces cas, la définition du genre a créé bien des difficultés, alors que l’apparition même du terme “autobiographie” ne remonte qu’au XVIIIe siècle, lorsque l’essor même du genre atteint son apogée, pour se poursuivre pendant tout le XIXe siècle et se tarir, du moins en partie, ou changer de forme et de sens au siècle dernier.
On pourrait supposer, dans une sorte de première approximation, que la représentation d’une vie prend tout d’abord un sens métaphysique (nous sommes gouvernés mystérieusement mais réellement par des forces obscures, tout comme Ulysse est tourmenté par Neptune), pour acquérir ensuite un sens psychologique, politique, social, etc., comme dans les mémoires modernes. Mais je n’ai pas l’intention d’élaborer, même implicitement, une philosophie de l’histoire qui marque un progrès dans la sécularisation (comme si l’autobiographie manifestait un intérêt anthropologique de plus en plus accentué, en s’éloignant des interprétations antiques et médiévales), ni encore une sorte de processus inverse, comme si, à travers les formes infinies de la désagrégation successive et en en remontant le courant, il était possible de retrouver enfin, dans une expérience peut-être solitaire mais significative, le véritable sens de ces mots antiques. Les formes, que je crois pouvoir indiquer sommairement dans ce premier tour d’horizon, existent toutes pour moi à titre égal, comme des possibilités qui peuvent d’ailleurs se représenter, qui ne doivent pas se mesurer avec un “désormais ce n’est plus possible”, avec un avant et un après.
Certes, la philosophie de l’histoire demeure importante, mais dans un autre sens. L’objet de la narration, désigné comme “vie”, est en réalité bien plus restreint que ne l’indique le terme, et est habituellement constitué par un moment de l’existence passée. Et au dedans de ce moment, quelque réduit ou étendu qu’il soit, on ne peut pas tout raconter, mais il faut effectuer des choix, qui peuvent être de différent type et obéir surtout à des intentions diverses. Chaque événement n’a pas de valeur en soi et pour soi, mais plutôt dans le contexte de la vie entière ou du moins de cette tranche de vie qui a fait l’objet de représentation. C’est cette considération de l’événement dans le contexte de la vie passée et future, c’est-à-dire de la vie entendue comme totalité, qui en constitue la valeur et donc aussi la signification. Cassirer, parlant de Gœthe, a indiqué dans la “description de la vie” la tâche d’ “annuler le fragmentaire” qui appartient à chaque vie particulière, en en montrant le “sens” ou encore la “règle fondamentale” (die gestaltende Norm des Lebens)2 ; en ce sens, il faut se poser le problème du parallélisme entre vie individuelle et vie du monde (philosophie de l’histoire et, en ce qui concerne Gœthe, philosophie de la nature), car le devenir de l’humanité a été conçu lui aussi, au cours des XVIIIe-XIXe siècles, comme une évolution dotée de sens et scandée par des moments ou des tournants significatifs.
Il existe naturellement aujourd’hui des auteurs qui rejettent totalement cette perspective. D’une part la philosophie de l’histoire a conclu son parcours, paraît-il, vers la fin du XIXe siècle, dans la période qui voit intervenir à la fois Dilthey, Nietzsche et Weber3 ; d’autre part le transfert de critères téléologiques à la vie d’un individu, ou à sa description peut paraître problématique. L’ “illusion biographique” consiste justement, selon Pierre Bourdieu, à prétendre voir un sens, un ordre, une totalité, une fin ; mais tout cela, dit-il, a cessé avec un certain type de roman. “Il est significatif que l’abandon de la structure du roman comme récit linéaire ait coïncidé avec la mise en question de la vision de la vie comme existence dotée de sens, au double sens de signification et de direction”4.
2 . Lorsqu’il se penche sur le problème de la “philosophie de l’histoire”, Dilthey nous offre un exemple très instructif de ce qu’est l’ “autoréflexion”, un genre d’observation qu’il considère comme le fondement des “sciences de l’esprit” après la fin de la métaphysique. En polémique avec la signification idéaliste du kantisme de Marburg, axée sur la théorie de la connaissance, il s’agit de réaffirmer le lien entre pensée, sentiment et volonté : “En réalité, puisque l’objet des sciences de l’esprit est compris bien avant d’être connu, et cela par la totalité de notre âme, les méthodes des sciences de l’esprit sont très différentes de celles des sciences de la nature… Enfin, le fait, la loi, le sentiment de la valeur et la règle sont, dans les sciences de l’esprit, unis par un rapport interne dont on ne trouve pas d’équivalent dans les sciences de la nature. Cette articulation ne peut être connue que dans l’autoréflexion”5
Ici comme dans les dernières années de sa vie (où toutefois la critique du gnoséologisme se retournera principalement contre Husserl, dont il avait connu très tôt les Recherches logiques), Dilthey a toujours recherché une interprétation psychologique des systèmes philosophiques ; cette interprétation devait mettre entre parenthèses, si l’on peut dire, la prétention de validité absolue revendiquée par ces systèmes, pour tenter d’en comprendre la genèse en partant de conditions subjectives particulières, propres au penseur ou à son époque6. Dans le cas de la philosophie de l’histoire, il considère que le sens ou la valeur que l’on voit se réaliser dans le cours historique ressortent avant tout de la vie volitive et affective de l’individu, pour être ensuite projetés, en quelque sorte, sur le devenir de l’humanité : “Que la philosophie de l’histoire soit donc téléologique ou naturaliste [à savoir : idéaliste ou positiviste, G.F.R.], son autre caractéristique est que, dans la manière dont elle formule le cours du monde, figurent aussi le sens, la finalité, la valeur qu’elle voit se réaliser dans le monde. Négativement exprimé : elle ne se contente pas d’explorer l’ensemble des causes accessibles en laissant régner le sentiment qu’il y a une valeur du cours du monde, tel qu’il se donne à notre conscience comme un fait… Ainsi agit le véritable chercheur spécialisé. La philosophie de l’histoire ne part pas non plus des valeurs et des normes pour remonter au point où, dans la conscience de soi, celles-ci sont inséparables de la représentation et de la pensée. Ainsi agit le penseur critique. Sinon, elle saurait que les valeurs et les normes n’existent qu’en relation au système de nos énergies, et qu’elles n’ont plus aucun sens qui se puisse représenter si l’on ne les met pas en rapport avec un tel système”7.
Les critiques de relativisme sont parvenues principalement à Dilthey de deux sources : Husserl a contesté son historisme parce qu’il dissout l’objectivité du sens dans la relativité de sa situation spatio-temporelle (La philosophie comme science rigoureuse, 1911), Lukács parce qu’il nie la direction unique de l’histoire et la structure dialectique de la réalité, effectuant ainsi une “apologétique indirecte” du capitalisme (La destruction de la raison, 1954). Mais Dilthey avait toujours reconfirmé sa position : la valeur ou le sens ne sont pas objectifs, universels, ni non plus “réels” au sens naturaliste, comme une vérité qui se cache derrière les apparences ; ils sont humains, c’est-à-dire subjectifs et multiples. Si l’on avance dans l’ “autoréflexion”, on découvre que “c’est à partir d’une incommensurable diversité de valeurs particulières que s’édifie le sens de la réalité historique” (258) : l’autoréflexion dénaturalise la valeur et donc la multiplie. Il existe en chacun de nous un fond de “solitude” non éliminable, non résoluble dans la vie historique et sociale : “Ce qu’un homme, dans la solitude de son âme, luttant avec le destin, vit dans la profondeur de sa conscience morale, existe pour lui-même, et non pas pour le progrès du monde, pour un quelconque organisme de la société humaine” (261). On trouve dans cette affirmation (émise manifestement contre Hegel et Comte) un élément essentiel pour la compréhension de Dilthey : c’est la totalité de l’homme, y compris le caractère d’unicité de son être et d’une relative non-objectivité de son expérience de vie, qui est en jeu dans le type de connaissance propre aux sciences de l’esprit. Dans la connaissance de la nature, il se manifeste une attitude abstraite ou unilatérale, en ce sens que le sujet se confie à une fonction unique : c’est justement pour cela que les différences individuelles peuvent devenir insignifiantes, car le sentiment ou le vouloir du savant ne touche pas la définition unique, ou uniquement valable, de l’objet. Dans le domaine des sciences de l’esprit, tout cela n’est pas possible : la validité ou l’objectivité des concepts utilisés devra être cherchée par d’autres moyens, à travers une enquête qui tienne compte de toutes les “forces” en jeu : “l’autoréflexion qui, dans la vie de l’esprit, recherche l’origine des valeurs et des normes et leur relation à l’être et à la réalité, et … l’analyse progressive, lente, qui décompose cet aspect de la totalité historique dans ce qu’elle a de si complexe” (258).
3. Reprenons le problème d’un point de vue plus étendu, selon une inspiration que l’on peut qualifier de néo-kantienne, consistant à faire valoir un rôle de la subjectivité, non pas réduit à la signification logique ou épistémologique du transcendantal kantien, mais développé dans un sens anthropologique8. La question philosophique centrale a été indiquée dans un essai remarquable sur Augustin par Roberta De Monticelli : “Mais seulement dans les Confessions… cette base existentielle de la pensée philosophique se révèle à la pensée elle-même. (…) Une existence personnelle est déclarée explicitement comme base expérimentale de la philosophie… la métaphysique ne se révèle vraiment que dans le miroir – et dans l’énigme – d’un destin personnel”9. Dans un sens kantien et heideggerien (voir M. Heidegger, Kant und das Problem der Metaphysik, 1929), l’autobiographie indique le “lieu” d’où peut partir une interrogation sur l’être, sur le monde ; Augustin, par exemple, se sachant re-créé dans sa vie, conclut sa recherche par une théorie de la création. Et De Monticelli insiste beaucoup sur le fait que, pour Augustin, la vérité a des racines dans la vie, “que l’Être véritable peut se manifester non pas dans un acte de l’intelligence, mais dans le parcours entier d’une existence”10.
On sait que les écoles néo-kantiennes de la fin du XIXe siècle, dans certaines tendances fondamentales (je pense à Dilthey, mais aussi à Harnack) visaient à une fondation anthropologique de la science historique, à savoir à l’identification de structures, de formes universelles. C’est sur le fond de cette transformation de la philosophie du XXe siècle (en particulier la “philosophie des formes symboliques”de Cassirer, mais aussi les écrits du dernier Dilthey)11, qu’il faut considérer le problème de la biographie et de l’autobiographie. La question essentielle repose sur le fait qu’après avoir renvoyé le sens de l’être au sens de l’homme, ce n’est pas la vie individuelle dans sa limitation empirique ou factuelle qui est le lieu de la vérité, puisque toute “vie” se transforme continuellement en “esprit”, la “réalité” en “possibilité”, les événements particuliers en structures de l’intelligence ou de la psyché : et cela déjà à partir de toute la problématique de l’expression, à savoir de l’objectivation (qui est toujours communicative, même quand je me comprend moi-même) de l’expérience vécue. Thomas Mann rappelle, à propos de Gœthe, le paradoxe selon lequel un destin et une vie exceptionnels représentent l’universel, l’humanité elle-même dans ses tendances les plus profondes12.
Quant à Rousseau, il est clair qu’il prétend (en raison même de sa position de classe) “offrir de l’homme une image universellement valable”, “la véritable idée de l’homme tel qu’il est”, à travers justement le caractère extraordinaire de son expérience13. Il avait dit : “Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent”. Mais les Confessions pourront servir “de première pièce de comparaison pour l’étude des hommes, qui certainement est encore à commencer”, comme l’avait illustré, dix ans auparavant, la Préface du Discours sur l’inégalité14.
4. Il est nécessaire à ce point de faire quelques pas en arrière, pour tenter de comprendre cette transformation de la “vie” en “esprit”, du particulier en universel, mais aussi de la réalité en une sphère de pures possibilités. Il s’agit d’un mouvement, d’un parcours, qui va du premier au second terme, mais qui peut être compris également en sens contraire : comme si l’élément de l’ “esprit” ou de la culture orientait la perception des événements, et que la “vie” n’acquière du relief et du sens que dans la lumière d’une compréhension plus profonde.
Mais bien que, de Leibniz à Husserl, cette dialectique de possibilité-réalité conditionne la notion allemande d’ “esprit”, il me semble que chez Dilthey en particulier le problème s’est définitivement clarifié. En effet, si nous pensons que pour Dilthey la connaissance historique est surtout une pénétration intuitive dans la vie d’autrui, qui se sert de toute expression matérielle pour remonter, à travers la sympathie et l’identification émotive, à l’expérience vivante des personnages ou des groupes sociaux étudiés, on peut comprendre l’importance de la relation psychologique qui me lie à la vie présente ou passée, qui me permet de la comprendre comme une variante, sinon réelle du moins possible, de ma propre vie. Mais l’expérience artistique est, elle aussi, un élément important de la compréhension psychologique et historique : dans la Contribution à l’étude de l’individualité (1895-96)15 il affirme que, dans le domaine des “sciences de l’esprit”, la compréhension est toujours orientée et structurée tant par des éléments inconscients du chercheur que par l’ensemble de ses possibilités et connaissances esthétiques. En effet, l’art élargit le monde de nos images, et corrélativement de nos émotions face à elles : et cela de manière telle que ce n’est pas la vie réelle du savant, avec sa pauvreté ou sa sobriété éventuelle d’expériences, qui est engagée dans le processus de transfert émotif et d’identification menant à la connaissance historique ou psychologique, mais la “vie” au sens le plus haut (“doubler sa vie, la vie réelle et commune, d’une seconde vie poétique”16), la vie de la fantaisie à laquelle Dilthey, en bon élève de Gœthe, attribue une importance exceptionnelle17.
Paraphrasant le titre de la célèbre autobiographie de Gœthe, on peut donc affirmer que “poésie” et “vérité”, bien loin de s’exclure l’une l’autre, se soutiennent plutôt réciproquement, puisque ce n’est qu’à travers la “poésie”, c’est-à-dire à travers l’invention, que l’on peut parvenir à une “vérité” plus profonde et plus claire. Aussi est-il important de distinguer “esprit” et “vie” : dans l’échange des pensées qui circulent entre Gœthe, Dilthey et Thomas Mann, la fantaisie prépare la vie, trace les voies qui seront parcourues par l’expérience. Sur le plan de l’autobiographie, cela signifie que la création oriente la description, que la littérature, l’“esprit”, est plus riche que la vie. Voilà pourquoi Dilthey pensait – sur les traces de Gœthe, bien sûr – que l’historien a comme base la littérature, l’art (Shakespeare, très cité dans Contribution de 1895-96), la biographie (Leben Schleiermachers, 1868-70)18.
L’art, cependant, sauve la donnée empirique en la transférant dans l’universel. Quand Charlotte Buff, mariée à J. G. Kestner (la Charlotte de Werther), se présente bien plus tard à Weimar pour rencontrer Gœthe, celui-ci l’éloigne, la refuse. Sa propre création l’isole, car ce qui est entré une fois dans l’œuvre ne peut plus réapparaître dans la vie réelle. Dans le récit de Thomas Mann, Lotte in Weimar (1939), la rencontre se produit, mais pas comme un simple épisode ; il y a là quelque chose de permanent, qui s’obstine à revenir dans l’existence de Gœthe. Ce qui le sépare de Lotte, c’est la manière particulière selon laquelle le poète considère la vie des autres, et aussi la sienne. On doit se demander : comment le poète peut-il échapper au pouvoir destructeur du temps et attribuer à l’instant une durée, une consistance ? En créant des figures, des images, à savoir en leur attribuant une forme stable, inaltérable. “Ce qui est entré une fois dans ce processus et a été formé par lui, y demeure et existe pour toujours ; ce qui est resté à l’extérieur se soumet à la puissance objective du temps et doit disparaître… Il domine dans la poésie une sorte de répétition qui n’est pas accordée à la vie réelle. Seule la poésie offre une résurrection, une véritable renaissance qui supprime et dépasse tout contraste lié aux époques de la vie”. Toute la vie du poète consiste dans cette transformation continuelle de l’existence en tableau, en figure. Mais si un symbole revêt une consistance physique, s’il commence à agir et à parler, il perd alors son sens le plus profond, il interrompt la création spirituelle, qui requiert un juste équilibre entre lumière et obscurité, entre mémoire et oubli. Gœthe devra se défendre intérieurement de ce retour, non par embarras ou sens de la pudeur, mais pour une nécessité interne19.
En ce qui concerne le parcours inverse du rapport vie-poésie, vie-esprit, je me limiterai pour le moment à deux exemples très connus. Gœthe connaît, grâce à son ami Herder, un roman anglais, le Ministre de Wakefield (1766) d’Oliver Goldsmith, qui raconte l’histoire d’un pasteur de campagne et de ses filles blondes, Olivia et Sophie. L’ouvrage produit sur lui “une forte impression” (grâce aussi à la lecture claire et infiniment attrayante de Herder), et toutefois il ne s’attend pas à être transporté “de ce monde imaginaire dans un monde réel tout semblable”. Mais par la suite, se promenant dans la campagne, il connaît un pasteur protestant “qui vivait près de Drusenheim… en possession d’une bonne paroisse, avec une femme raisonnable et deux aimables filles”. Gœthe tombe amoureux de la plus petite, Frédérique et considère la situation à partir du roman : “Ma surprise dépassait toute expression de me trouver ainsi tout vivant dans la famille de Wakefield”, même si ce transfert comporte un certain travestissement des personnes et des faits. Et Gœthe est conscient que c’est précisément le roman qui a contribué “à vivifier et à exalter mon inclination et la joie qu’elle me procura”20.
Il s’agit d’un cas structuralement semblable à celui de Rousseau, qui nous parle à l’inverse de son roman en tant que prélude, élaboration idéale, que suit l’engouement pour Madame d’Houdetot. Ce n’est pas elle le modèle de Julie d’Etange, protagoniste de la Nouvelle Héloïse, mais c’est Julie qui est pour ainsi dire incarnée et réalisée dans la comtesse qui vient lui rendre visite. “Je vis ma Julie en Madame d’Houdetot, et bientôt je ne vis plus que Madame d’Houdetot , mais revêtue de toutes les perfections dont je venais d’orner l’idole de mon cœur”21.
5. La plausibilité de l’autobiographie dans la description du passé a toujours suscité une discussion acharnée. En effet, si l’autobiographie ne peut se différencier de la fiction littéraire sur la base d’un rapport avec la réalité extérieure, il n’existe plus alors aucune manière de la distinguer. Il ne serait pas possible de la séparer, par exemple, d’un roman à la première personne qui relate l’évolution ou les aventures du moi narrateur, comme Gordon Pym d’Edgar Poe, La ligne d’ombre de Joseph Conrad ou d’autres récits similaires.
Le choix effectué par l’auteur parmi les événements de sa vie peut avoir des causes diverses. Une première sélection est déjà faite par la mémoire, qui privilégie naturellement certains épisodes, pour en reléguer d’autres dans l’ombre, selon une trame d’intérêts, de contextes discursifs, de relations sociales qu’il faut examiner pour comprendre le récit que nous sommes en train de considérer. “Il n’est donc pas nécessaire de s’adresser réellement à autrui : l’acte le plus personnel même, la prise de conscience de soi, implique toujours déjà un interlocuteur, un regard d’autrui qui se pose sur nous”22. Ce moment constructif devient encore plus évident lorsque l’auteur effectue un choix conscient parmi les souvenirs, obéissant à une intention spéciale ou à une finalité pratique. Un des modèles les plus anciens de l’autobiographie est représenté par l’apologie ou discours d’autodéfense, où l’auteur cherche à justifier sa propre attitude dans un contexte accusatoire qui a normalement pour cadre le tribunal ou un groupe réel d’adversaires. Il reparcourt dans ce discours sa propre existence, pour mettre en lumière les épisodes qui servent à démentir l’accusation et à soutenir ses propres raisons. Il s’agit du discours “judiciaire” déjà présent, par exemple, chez Platon (Apologie de Socrate).
Nous avons déjà vu, dans l’œuvre de Gœthe, que le souvenir ne se présente pas comme une faculté distincte des autres activités psychiques, avec donc une capacité de vision qui lui serait propre : “étant donné que la fonction du souvenir en tant que tel est attribuée par Gœthe à la fonction de la fantaisie, et qu’elle lui est intimement liée. Aucun souvenir ne peut nous donner une simple copie de la réalité, mais chacun d’eux implique à la fois un processus de formation et de transformation”23.
D’ailleurs, Rousseau avait déjà fortement contesté la possibilité ou l’utilité d’une parfaite connaissance du passé, et cette attitude se reflète aussi, naturellement, dans les Confessions. Sa méfiance envers l’historiographie s’exprime partout : s’il s’agit, par exemple, de comprendre la nature humaine, nous devons construire un modèle non arbitraire puisque fondé sur le “cœur”, sur le sentiment intérieur24, de ce que l’humanité pouvait être essentiellement et originellement, et ensuite étudier comment cette structure se modifie en fonction des circonstances. “Sans ces recherches, l’histoire n’est d’aucune utilité pour nous, et la connaissance des faits dépourvue de celle de leurs causes ne sert qu’à surcharger la mémoire, sans instruction pour l’expérience et sans plaisir pour la raison”25. De même la confession est vraie, véridique, mais pas dans le sens d’une vérité historique, plutôt dans le sens de la véridicité ou de l’authenticité du moi narrateur, et du sentiment, actuellement vécu, suscité par un événement passé : “le sentiment est donc le cœur indestructible de la mémoire ”, écrit très justement Starobinski26, et cet élément de pérennité est analogue à la forme stable que les événements prendront dans la création artistique de Gœthe : “Ce qui est entré une fois dans ce processus et a été formé par lui, y demeure et existe pour toujours…”.
Rousseau avait réuni des notes, des documents pour écrire les Confessions, mais il les avait confiés ensuite à des amis, ou perdus. Aussi se fiait-il uniquement à la mémoire : “Je n’ai qu’un guide fidèle sur lequel je puisse compter ; c’est la chaîne des sentiments qui ont marqué la succession de mon être, et par eux celle des événements qui en ont été la cause ou l’effet… Je puis faire des omissions dans les faits, des transpositions, des erreurs de dates ; mais je ne puis me tromper sur ce que j’ai senti, ni sur ce que mes sentiments m’ont fait faire ; et voila de quoi principalement il s’agit”27. Il faudrait ici, à mon avis, souligner surtout deux choses, le caractère de répétition (“En dépit des hommes je saurai goûter encore le charme de la société et je vivrai décrépit avec moi dans un autre âge, comme je vivrais avec un moins vieux ami”28) et le caractère d’intensification, d’idéalisation (“les objets font moins d’impression sur moi que leurs souvenirs”29). Starobinski commente : “La mémoire affective semble donc infaillible. C’est par elle seule, et non par une réflexion sévère, qu’une véritable résurrection du passé peut se produire”30.
6. Les Confessions de Rousseau, Poésie et vérité de Gœthe sont même des grands romans, tout comme La Nouvelle Héloïse, Werther et Wilhelm Meister sont certainement des écrits autobiographiques. En d’autres termes, chez certains grands écrivains – non seulement Rousseau et Gœthe, mais aussi Tolstoï – la tendance autobiographique reste si forte qu’elle semble investir l’œuvre toute entière. Dans les Dialogues Rousseau dira que toute son œuvre est un autoportrait : “D’où le peintre et l’apologiste de la nature aujourd’hui si défigurée et si calomniée peut-il avoir tiré son modèle, si ce n’est de son propre cœur ? Il l’a décrite comme il se sentait lui-même”31. Quant à Tolstoï, il semble évident que les caractéristiques de Lévine dans Anna Karénine (la recherche religieuse, l’orientation introvertie vers la réflexion continue, l’activité économique de propriétaire terrien), comme celles de Pierre Bézoukhov dans Guerre et Paix, sont à attribuer à l’auteur, même s’il faut exclure l’activité littéraire32. Et l’on connaît trop bien l’identification souvent exprimée par Gœthe avec le personnage de son Wilhelm Meister, tout particulièrement dans la phase d’une jeunesse aventureuse marquée par une auto-éducation répartie entre commerce et culture (La vocation théâtrale, dont les six premiers livres ont été composés entre 1777 et 1785).
Ces empiétements ou superpositions de genres que l’on trouve justement chez les plus grands auteurs incitent à la réflexion. Dans une recherche des années Trente consacrée aux genres du roman, Mikhaïl Bakhtine a établi trois listes différentes de sous-genres romanesques, sans aucune tentative de coordination ou d’unification33. Il y indique plusieurs fois le roman biographique et autobiographique, sans distinguer entre autobiographie sous forme de roman (comme, par exemple, les Confessions de Rousseau) et roman sous forme d’autobiographie (par exemple les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar). Bakhtine cite aussi le “roman d’apprentissage” (ou de formation : l’exemple le plus connu est le Wilhelm Meister) et le “roman d’épreuve” (pour lequel je voudrais proposer Conrad : La ligne d’ombre, Typhon ; mais l’exemple n’est pas de Bakhtine).
Or, une ligne très nette semble séparer autobiographie et roman : dans l’autobiographie l’auteur, le narrateur (l’ “image de l’auteur” interne à l’œuvre), le personnage (le porteur de la vie qui est narrée dans le texte), sont des sujets ou des fonctions qui doivent se superposer ; dans le roman, en revanche, ils doivent se séparer (bien que dans le roman autobiographique il existe une coïncidence entre le narrateur et le personnage, et jamais entre l’auteur et le narrateur). Mais la dissociation entre ces trois figures apparaît bien plus profonde. Avant tout en raison d’un écart temporel : s’il est vrai, en fait, que le sujet et l’objet de la représentation autobiographique coïncident par définition, le moi-narrant est cependant différent du moi-narré, par le fait qu’il vit en réalité non seulement à une époque postérieure, mais aussi à la fin d’un cycle ou d’une évolution qui est précisément l’objet de sa narration. En outre, tous les indicateurs qui se réfèrent dans le texte à l’ “image de l’auteur” ne doivent pas être projetés sur l’auteur lui-même, mais rester à l’intérieur du texte. “On sait bien que dans un roman qui se présente comme le récit d’un narrateur, le pronom de première personne, le présent de l’indicatif, les signes de la localisation ne renvoient jamais exactement à l’écrivain, ni au moment où il écrit ni au geste même de son écriture ; mais à un alter ego dont la distance à l’écrivain peut être plus ou moins grande et varier au cours même de l’œuvre”34. C’est justement pour cela que Bakhtine avait déjà décidé de repousser l’expression “image de l’auteur” comme déviante et contradictoire : “si l‘on comprend par là l’auteur-créateur, [c’] est une contradictio in adjecto ; toute image est quelque chose de produit et non quelque chose de producteur”. Même dans l’autobiographie, donc, il y a une séparation importante entre auteur et narrateur, pour ainsi dire entre le créateur du texte et les éléments du texte. “Même si l’auteur-créateur avait créé une autobiographie ou la confession la plus authentique, il serait quand même resté, dans la mesure même où il l’a produite, en dehors de l’univers qui s’y trouve représenté… S’identifier absolument à soi, identifier son «je» avec le «je» que je raconte est aussi impossible que de se soulever soi-même par les cheveux »35.
7 . Gœthe s’est considéré lui-même, sa personne et son œuvre, comme un phénomène naturel qui se développait au contact du monde entier sous ses aspects les plus variés ; il s’est toujours abandonné au flux de la réalité, des rencontres, des événements, se laissant former par eux et nourrissant une profonde méfiance envers toute planification rationnelle ou morale de sa vie. Si cette vie a un sens, ce n’est certainement pas parce qu’elle obéit à un plan mais qu’à travers l’autobiographie, la confession (et toute œuvre, par son admission explicite, fait partie de cette confession), elle se révèle et devient un organisme autonome, pourvu d’une physionomie propre. Thomas Mann partage cette idée et se sent profondément attiré par le “naturel” et l’ “ingénuité” de Gœthe, qui s’opposent au caractère abstrait, volontariste ou moraliste, de son grand contemporain Schiller36.
D’autre part, n’oublions pas que par bien des aspectsles essais que Mann consacra à Schopenhauer, Nietzsche, Freud servent aussi à clarifier son rapport avec Gœthe : l’identification constante d’une ligne humaniste libérale de la plus haute culture allemande, à laquelle Mann se consacre en conflit avec le nazisme, conserve comme point de référence l’universalité gœthienne ; et il est presque stupéfiant que dans un discours tenu à Vienne le 8 mai 1936 pour célébrer les quatre-vingts ans de Freud, Mann se réfère à l’efficacité psychologique du mythe et du symbole dans un sens bien plus proche de Nietzsche et de Gœthe que du fondateur de la psychanalyse. Je dirais cependant qu’au-delà du verbiage un peu facile de certains écrits ou discours d’occasion, le rapport Gœthe-Mann, touche son degré le plus haut d’approfondissement dans le roman Charlotte à Weimar de 1939 : Gœthe est ici à la fois l’objet et le sujet de la représentation, dans un sens que je chercherai à expliquer et qui met au centre de ce rapport la notion de symbole37.
Charlotte à Weimar représente, comme nous le savons, un épisode de la vie de Gœthe, c’est-à-dire la visite que la Charlotte de sa jeunesse (celle qui lui a inspiré Werther) lui fait, bien des années plus tard, à Weimar. Gœthe n’apparaît lui-même qu’au septième chapitre mais il est continuellement présent, dès le début, par la représentation des lieux, les dialogues des serviteurs et des amis, etc. Or cette méthode de la représentation indirecte avait déjà été utilisée par Gœthe dans sa grande autobiographie Poésie et vérité, mais il faut rechercher son origine plus loin, dans ses études naturalistes. En observant le jeu de couleurs à l’intérieur des cristaux, Gœthe remarqua la formation de figures particulières, dont la clarté et la variété dépendaient de la réfraction de la lumière sur les parois internes de la pierre ; et il était aussi possible de reconstruire expérimentalement le phénomène, en obtenant une intensité et une flexibilité supérieures des figures, grâce à l’insertion progressive de nouvelles parois réfléchissantes. Or cette “vérité” physique avait aussi pour Gœthe une signification profondément symbolique : elle indiquait une règle universelle, une méthode que la nature utilise dans tous les domaines pour donner à ses créations le maximum de clarté et d’intensité. La méthode des “réflexions répétées” devait donc représenter la base de son autobiographie (où Gœthe parle des milieux fréquentés, des amis, des tendances artistiques et politiques, des paysages contemplés, et jamais directement de lui-même) ainsi que celle du roman de Mann.
On comprend donc que si l’on parle d’ “ingénuité” de Gœthe (Schiller, Poésie naïve et sentimentale, 1795) on se réfère à sa tentative de vivre dans la nature et d’agir comme une partie d’elle-même. Le symbole, ou la forme générale de la “réflexion répétée”, est la voie naturelle de production d’une œuvre, et, à travers les œuvres, de soi-même en tant que nouvelle œuvre, qu’objet naturel et organisme qui n’existait pas auparavant. Dans ce sens, l’autobiographie de Gœthe ne signifie pas simplement rappeler, parcourir dans un sens historique ou psychologique les différentes étapes de son évolution, ou se connaître soi-même : mais plutôt agir, construire une nouvelle identité.
8. L’autobiographie prend le sens d’une confession lorsque le sujet met à nu son être le plus caché, sans dissimuler d’éventuelles erreurs ou faiblesses. Cet aspect nous renvoie à Augustin, mais les Confessions de Rousseau manifestent également une orientation de ce genre : une fusion entre confession et apologie. Répondant tant à sa propre manie de la persécution qu’à de réelles critiques externes, Rousseau promet de révéler la vérité absolue concernant son être, en dévoilant ses aspects les plus intimes et déplaisants, qui deviennent même l’expression de son individualité la plus profonde et caractéristique. Si d’une part il s’en appelle comme juge suprême au Dieu chrétien (bien qu’avec une certaine inclination panthéiste : “ Ô nature, ô ma mère, me voici sous ta seule garde”38), de l’autre il transforme ses lecteurs, qu’il identifie en partie du moins avec les ennemis dont il faut se défendre, en jury à qui revient le jugement final.
Selon Pierre Burgelin, “la confession est tout le contraire d’une apologie. Comme elle appelle le jugement, elle est pénible, aussi la préférons-nous secrète»39. Nous pourrions dire que, si la confession suppose que nous sommes coupables, l’apologie suppose que nous sommes innocents (comme dans le cas de Socrate, qui se considère digne non d’une punition, mais d’un prix : celui d’être nourri dans le Prytanée aux frais de l’Etat40). Mais ce contraste n’est pas valable dans le cas de Rousseau, qui pense que si ses actes sont coupables, ses sentiments en revanche sont innocents. “J’oublie aisément mes malheurs, mais je ne puis oublier mes fautes, et j’oublie encore moins mes bons sentiments. Leur souvenir m’est trop cher pour s’effacer jamais de mon cœur”41. On commence donc à voir se préciser ici cette scission, selon laquelle la difficulté ne réside pas fondamentalement dans le rapport avec soi-même (Rousseau se considère au contraire comme une de ces natures bonnes, absolument transparentes, qu’il voudrait rencontrer partout mais qu’il ne reconnaîtra par la suite qu’en lui-même : “Me voici donc seul sur la terre…”42), mais avec la société, dans ses rapports avec les autres : de sorte que dans la multiplication de sa personne qui domine la structure des Dialogues il y aura un Jean-Jacques positif, “l’auteur des livres”, et un Jean-Jacques négatif, “l’auteur des crimes”43.
Et une oscillation ultérieure se produit justement dans son rapport avec le public, ses collègues et ses contemporains, dont il attend, et n’attend pas à la fois, la reconnaissance, l’estime, l’affection. Si jusqu’au livre septième des Confessions il parlait pour répondre à des questions, pour faire coïncider, ou du moins pour rapprocher, l’image qu’il a de lui-même et celle qu’en ont les autres, à présent ses réponses tombent dans le silence, dans le vide. Ou pire : elles sont utilisées contre lui par des personnes qui ne cherchent pas la vérité, qui veulent plutôt le détruire, lui et son œuvre. D’où la nécessité de sauver ses écrits pour les générations futures, pour ceux qui n’existent pas encore mais qui pourront le justifier, le comprendre44.
Cette transformation est évidente dans le déroulement des Confessions, et c’est de là que naît le syndrome persécuteur qui caractérisera les dernières années de la vie de Rousseau45. Toutefois la recherche d’un interlocuteur différent et supérieur, par rapport à la foule de ses contemporains, n’a rien de pathologique en soi. Dans un inédit de 1961, Bakhtine observe que tout texte possède structuralement deux interlocuteurs, qui ne sont pas des éléments externes, mais des “moments constitutifs de l’énoncé” ; car l’auteur ne veut pas se livrer entièrement au public le plus proche, il veut être entendu, il veut communiquer. “Chaque énoncé a toujours un destinataire… dont l’auteur de l’œuvre verbale cherche et anticipe la compréhension répondante. C’est le «second» (dans un sens non arithmétique). Mais, en plus de ce destinataire («du second»), l’auteur de l’énoncé imagine, en en étant plus ou moins conscient, un surdestinataire supérieur (un tiers), dont la compréhension répondante absolument juste est projetée soit dans le lointain métaphysique, soit dans un temps historique éloigné. (Un destinataire de secours)”46.
9 . Dans son introduction, Michel Foucault a indiqué d’une manière définitive un écart, une scission qui divise les Confessions des écrits autobiographiques successifs, les Dialogues et plus tard les Rêveries. Cette différence pourrait s’expliquer ainsi : le moi qui parle dans les Confessions est un moi compact et unique, qui cherche le rapport avec les autres en se justifiant à leurs yeux ; les sujets qui interagissent dans les Dialogues sont tous des masques de Rousseau, vrais ou faux, qui naissent du fond d’un silence qu’ils ne cherchent plus à rompre, et leur multiplication-prolifération vient remplir l’absence d’un interlocuteur externe. Il est possible que l’échange, la composition des voix fasse naître à nouveau un sujet unifié, qui ne se distingue pas encore dans les Dialogues, mais apparaît dans les Rêveries. “Le sujet qui parle, en ce langage dressé, de structure harmonique, est un sujet dissocié, superposé à lui-même, lacunaire et qu’on ne peut se rendre présent que par une sorte d’addition jamais achevée : comme s’il apparaissait en un point de fuite que seule une certaine convergence permettrait de repérer”47.
Comme cela apparaissait déjà dans les citations précédentes de Bakhtine, l’interlocuteur est toujours présent dans le texte, même sous une forme implicite ; on pourrait dire qu’il y est caché, comme par exemple lorsque le texte prend le sens d’une protestation, d’une récrimination, d’une vengeance pour quelque événement passé. Même le monologue, la confession adressée seulement à soi-même, sont eux aussi complètement immergés dans le social, en ce qui concerne tant l’expression que l’élaboration interne. Et cette implication n’est pas seulement linguistique : en réalité l’échange intervient avec d’autres, avec le groupe social d’appartenance, et ce n’est pas l’intériorité qui précède absolument, car sans expression, ni communication, même l’expérience n’est pas pensable. Si bien qu’il faut construire une anthropologie philosophique où le principe de l’altérité, de l’intersubjectivité, constitue un fondement, en ce qui concerne aussi la compréhension de nous-mêmes : il est normal que je me regarde aussi du point de vue des autres, que ce regard fasse partie de la compréhension que j’ai de moi, que la menace, le jugement ou la faveur des autres dirigent mes actions jusqu’à un certain point.
Tout cela concerne également Rousseau ; on peut lui appliquer aussi la formulation très nette (qui est aussi une interprétation de son “état de nature”) de Lévi-Strauss, selon lequel “ qui dit homme dit langage, et qui dit langage dit société”48. Il serait trop facile de dire que, dans le cas des Dialogues, l’absence d’interlocuteurs externes a renfermé l’auteur dans un dialogue avec lui-même (ou entre les différentes parties où sa personnalité s’est divisée), car cette fiction artistique de la solitude totale est, dans les faits (et surtout dans les faits de langage), littéralement impossible, et Rousseau lui-même, dans la distribution des rôles, a donné la parole à ses ennemis extérieurs : dans le dialogue, le Français représente l’accusation, il a volé à Rousseau son vrai nom et conserve devant lui un Jean-Jacques qui est “l’auteur des crimes” ; d’autre part le personnage mystérieux qui porte le nom de Rousseau (nom que le public a volé au vrai Rousseau) connaît un Jean-Jacques qu’il considère “l’auteur des livres” ; et pour finir il a lu ces livres. “Au lieu d’être ramassé dans le point sans surface d’une sincérité où l’erreur, l’hypocrisie, le vouloir mentir n’ont pas même la place de se loger, le sujet qui parle dans les Dialogues couvre une surface de langage qui n’est jamais close, et où les autres vont pouvoir intervenir par leur acharnement, leur méchanceté, leur décision obstinée de tout altérer”49.
Dostoïevski a lié le thème de la solitude (de la confession faite à soi-même, et peut-être pas même à soi-même) à celui de la vérité des faits racontés. “On ne publie pas, on ne donne à lire à personne les confidences que je me prépare à faire ici”. Son héros ou anti-héros, dans les Souvenirs de la maison des morts (1864), considère que certaines choses se disent seulement à des amis ; et sans doute pas même à eux, sans doute pas même à soi-même – du moins pendant une certaine période. “Or, maintenant … je tente l’épreuve : est-il possible d’être franc et sincère, au moins vis-à-vis de soi-même, et peut-on se dire toute la vérité ?”. Il poursuit en rappelant que, selon Heine, les autobiographies fidèles sont quasi impossibles, et que Rousseau lui aussi doit s’être calomnié en racontant bien des choses fausses, uniquement par vanité. “Mais Heine avait en vue les confessions publiques ; or, je n’écris que pour moi seul et déclare une fois pour toutes que si j’ai l’air de m’adresser au lecteur, ce n’est qu’un procédé dont je me sers pour plus de facilité”50.
L’artifice sur lequel se base ce texte peut avoir différentes interprétations. Dostoïevski voulait toucher un public, ou mieux encore le plus grand nombre de lecteurs. La fiction artistique de la solitude totale et du détachement vis-à-vis de la littérature pouvait servir à justifier le cynisme, la cruauté, la sincérité radicale, ainsi qu’une certaine dérision des idéaux progressistes ou évolutionnistes qui intéressaient certainement les milieux cultivés, en Russie et en Europe. Mais à quelles conditions l’autobiographie peut-elle être véridique ? Le personnage des Mémoires pose ses conditions : l’isolement, le secret. Mais avec ses Confessions, Rousseau entendait offrir à un public la vérité totale de sa vie et, comme nous l’avons vu, non pas tellement celle des événements, des rencontres, des lieux ; mais celle des sentiments d’un homme en quelque sorte exemplaire, dont la nature, après l’avoir coulé, a brisé le moule51.
10 . La vérité dont parle Rousseau a un sens exclusivement moderne : ce n’est pas une vérité métaphysique mais une vérité psychologique et, malgré certaines difficultés, elle est à la disposition de l’homme. Dans la tradition religieuse de l’Occident, cette recherche ne pourrait pas aboutir, ou avoir un terme car le sens de ma vie m’est interdit ; il est caché en Dieu. Voir la première Lettre aux Corinthiens, 13, 12 (“A présent, je connais d’une manière partielle ; mais alors je connaîtrai comme je suis connu”), et Augustin dans les Confessions : “Il n’y a que vous, Seigneur, qui me connaissiez parfaitement. Car encore qu’il n’y ait que l’esprit de l’homme qui sache ce qui se passe dans lui, et que ce secret soit impénétrable à tout le reste des hommes, il y a néanmoins quelque chose dans l’homme que son esprit même ne connaît pas. Mais vous, Seigneur, pénétrez dans les replis les plus cachés de son âme parce que vous le connaissez comme l’ouvrier connaît son ouvrage… Je confesserai donc ce que je connais et ce que j’ignore de moi-même, puisque je ne connais ce que j’en connais que par la lumière que vous m’en donnez ; et j’ignorerai toujours ce que j’en ignore jusqu’à ce que les ténèbres qui sont dans mon âme soient changées en un midi sans nuages par l’éclat de votre gloire.” (Livre X, 5)52.
Toute la vie du Christ est déplacée en avant, vers son accomplissement, et il renonce – du moins en tant qu’homme – à se proposer comme centre, à bâtir lui même son existence. “C’est le Père – écrit von Balthasar – que sa vie doit faire connaître, non lui-même. C’est pourquoi il ne donne à sa vie aucune figure, aucun sens achevé, mais il abandonne au Père le soin de la former d’instant en instant, et de lui donner un sens”. De ce point de vue on peut dire que, si nous voyons dans la figure du Christ un plan, un projet, ce n’est pas lui-même qui l’a formé : il évolue entre une promesse et un accomplissement, il met en communication par sa vie, par ses actes, la nouvelle alliance qu’il représente lui-même avec l’ancienne alliance : “comme si un jeune homme, à l’aube de sa vie, découvrait dans un livre toute son histoire à venir : c’est presque ainsi que le Fils de Dieu fait homme entend la Loi et les Prophètes”53.
D’autre part la modernité consiste dans le fait que l’unité d’une vie, sa cohérence ou son sens global, est le fruit d’opérations humaines, politiques, psychologiques ou encore religieuses ; elle n’est pas reçue d’en haut comme une grâce, elle n’est pas un trésor donné ou possédé dans la foi, sur lequel, en définitive, nous ne pourrions agir. “Rendez l’homme un ; vous le rendrez heureux autant qu’il peut l’être. Donnez-le tout entier à l’état ou laissez-le tout entier à lui-même, mais si vous partagez son cœur vous le déchirez”54. Ces mots indiquent les voies tracées dans le Contrat social et dans l’Emile, mais ce ne sont pas les seules. Rappelons au passage le mariage de Julie, dans La Nouvelle Héloïse : elle épouse un ancien ami de son père, Monsieur de Wolmar, mais elle est amoureuse (et déjà la maîtresse) du jeune précepteur, Saint-Preux. Elle se sent partagée entre l’intérieur et l’extérieur, l’amour et le mariage, la rébellion et les conventions sociales, la passion pour le jeune homme et l’affection pour son père. Et pourtant une “révolution subite” reporte son être à l’unité, parce que, devant Dieu, l’intérieur et l’extérieur se trouvent réconciliés. “L’œil éternel qui voit tout, disais-je en moi-même, lit maintenant au fond de mon cœur…”55. Or, même l’exhibition complète de sa propre vie devant un public ou devant Dieu pourrait obtenir le même résultat, pourvu qu’il s’agisse non pas d’une simple description, mais de la production d’un nouvel être. Starobinski observe justement que le vrai problème des écrits autobiographiques de Rousseau n’est pas la connaissance de soi proprement dite, mais la reconnaissance de Jean-Jacques de la part des autres : “Pourquoi est-il si difficile de faire concorder ce qu’on est pour soi et ce qu’on est pour les autres ?”. Et donc, face à la scission, il se présente la voie d’un travail interminable : “L’apologie personnelle et l’autobiographie deviennent nécessaires...”56.
Rousseau se détache donc nettement d’une tradition religieuse qui, cultivant le mystère de toute vie individuelle, confie le salut à l’amour du Père ; il pense se connaître justement comme Dieu le connaît (“j’ai dévoilé mon intérieur tel que tu l’as vu toi-même ”), et son exposition devra être totale : “Je voudrais pouvoir en quelque façon rendre mon âme transparente aux yeux du lecteur, et pour cela je cherche à la lui montrer sous tous les points de vue, à l’éclairer par tous les jours…”57. Le secret doit être éliminé, chassé de toute part, pour que puisse enfin surgir des fragments d’une vie divisée par des tendances opposées l’unité, transparente comme le cristal, d’un être totalement naturel : “Dans l’entreprise que j’ai faite de me montrer tout entier au public, il faut que rien de moi ne lui reste obscur ou caché ; il faut que je me tienne incessamment sous ses yeux, qu’il me suive dans tous les égarements de mon cœur, dans tous les recoins de ma vie ; qu’il ne me perde pas de vue un seul instant, de peur que, trouvant dans mon récit la moindre lacune, le moindre vide, et se demandant, qu’a-t-il fait durant ce temps-là, il ne m’accuse de n’avoir pas voulu tout dire”58.
11. Augustin pensait être guidé secrètement par Dieu, même dans ses errements (“je m’égarais dans les pensées vaines et présomptueuses de mon esprit ; je me laissais emporter à tous les vents de mes passions : et néanmoins, mon Dieu, vous preniez toujours soin de moi au milieu de ces dérèglements.”, Conf. IV, 14), et plus tard Abélard a dit des choses semblables dans son Historia calamitatum mearum : “il n’est rien que la souveraine bonté de Dieu laisse accomplir en dehors de l’ordre providentiel, et … tout ce qui arrive contrairement à cet ordre, il se charge lui-même de le ramener à bonne fin”. Il s’était égaré, tout enorgueilli qu’il était de son grand succès intellectuel et de son bien-être physique ; il menait une vie sexuelle complètement dissipée. Or Dieu l’a frappé : “La fortune…trouva un moyen séduisant pour me faire tomber du faîte de ces hauteurs, et ramener, par l’humiliation, au sentiment du devoir envers Dieu le cœur superbe qui avait méconnu les bienfaits de sa grâce”59. Dans ce sens l’autobiographie est la recherche d’un ordre secret, mais toutefois présent, qui se trouve derrière le chaos des événements. Nous sommes conduits, mystérieusement mais réellement, vers le salut : il y a un sens caché, que nous pouvons retrouver à travers la narration.
Selon Roberta De Monticelli “l’inquiétude est précisément chez Augustin l’expérience vécue de sa propre fragilité”, à savoir d’un vide de substance ou de vérité qui dépend de la condition de créature, de la nécessité de s’enfermer dans la précarité du fragment60. L’autobiographie commence donc par cette sensation de vide et nous lance dans une recherche problématique, qui pourrait se conclure par un retour à la maison du père (Ulysse ou encore l’enfant prodigue de l’évangile de Luc). Il s’agit d’un parcours qui peut s’inscrire dans la métaphore de l’aventure, du voyage ; ou, dans un sens platonicien, comme un retour à l’origine dont nous conservons la mémoire. Dans un langage plus proprement spéculatif nous pouvons dire qu’à partir de la pluralité qui nous entoure (dissipation, dispersion) nous nous mouvons (ou mieux, nous sommes mus) vers une recherche de l’unité : “Et je ne cesserai jamais jusqu’à ce que vous rassembliez toutes les puissances de mon âme, qui est dissipée par la variété de tant d’objets” (Conf. XII, 16)61. Augustin ne s’est jamais séparé complètement du langage néoplatonicien et n’a pas cessé d’évoquer le mythe de l’homme primitif réduit en fragments, puis unifié, pour représenter l’événement cosmique de la chute et de la rédemption : “C’est vous, mon Dieu, qui rassemblez et réunissez … toutes les puissances de mon esprit et de mon cœur, que le vice et les passions avaient divisées en tant de parties, lorsque m’éloignant de votre unité suprême je me suis répandu dans la multiplicité des créatures” (Conf. II, 1). Seulement, il ne s’agit plus d’une entreprise spéculative, mais d’un parcours existentiel : en reparcourant à rebours cette aventure, en la sauvant dans le souvenir, l’autobiographie cherche un sens qui préserve la personne de la dispersion et de la mort.
Selon Maria Zambrano, “tous ceux qui ont fait le compte-rendu de leur vie sous forme de confession partent du moment où ils vivaient en tournant le dos à la réalité, où ils vivaient oublieux”62. Cette indication pourrait s’adapter à Ma confession de Tolstoï (déjà terminée en 1880, mais publiée en Russie seulement en 1906) : l’autobiographie dérive d’une crise, grave en tout cas, des schémas de comportement suivis jusqu’alors, et elle est donc le témoignage d’une conversion, elle a un sens éthique. Comme si l’on disait : je vivais dans un brouillard, dans une distance, je croyais vivre et j’étais déjà mort, “je tournais le dos à la vérité”. Naturellement, la chose concerne également Augustin (Dieu m’amenait d’une façon cachée à prendre conscience de mes erreurs par ces erreurs mêmes), mais les deux situations doivent toujours être distinctes : la conversion de Tolstoï a un sens principalement éthique (je me réfère à la sagesse populaire, et au christianisme comme une forme de cette sagesse), celle d’Augustin en revanche a un sens métaphysique (Dieu me guide, me conduit à mon salut).
Mais l’affirmation de M. Zambrano pourrait avoir un sens différent, pas seulement religieux : elle se réfère simplement à une fracture, un tournant, une limite au-delà de laquelle notre vie est changée, et d’où tout notre passé nous apparaît dans une lumière nouvelle. C’est ainsi que naît l’idée de l’autobiographie comme “roman d’apprentissage” (Bildungsroman), qui se réalisera pleinement chez Gœthe : en dépassant le seuil de la maturité, en se réconciliant avec le pouvoir (accession à des tâches de gouvernement à Weimar ; décision définitive pour le théâtre, dans le cas de Wilhelm Meister), on jette un regard sur le chemin parcouru, on reconstruit sa propre jeunesse, sa rebelle insouciance, le plaisir ou le goût de l’aventure, d’une recherche qui est terminée(voir La ligne d’ombre de Joseph Conrad, où un jeune homme affronte pour la première fois une épreuve très dure de responsabilité personnelle, ou encore Tristes tropiques de Lévi-Strauss : “adieu sauvages ! adieu voyages !”63).
12. Dans la conception mystique de Simone Weil il n’existe ni fracture ni changement de direction, ce qui la rend plutôt originale à nos yeux : mais, là également, il faut distinguer l’auteur (qui a certainement eu une évolution, même s’il n’y a pas lieu d’en parler ici) et l’image de l’auteur, qui est un moment ou un aspect du texte. Et c’est seulement ce second élément qui, dans les écrits de 1942, se présente comme absolument cohérent : il s’agit d’une “autobiographie spirituelle”, d’un ensemble de lettres adressées au père dominicain Joseph-Marie Perrin, qui tracent avec assurance (avec une sorte de remarquable lucidité) à la fois le sens de sa recherche religieuse et le caractère inévitablement normatif de cette expérience de foi. L’aspect le plus important est sans doute cette affirmation de continuité qui, comme elle le dit elle-même, rend inutile ou improbable toute idée de conversion64.
Avant tout, on peut et on doit faire seulement ce dont on se sent obligé. Si un comportement dépend de notre décision, ou encore de sollicitations externes, d’une demande d’autres êtres humains qui se trouvent en contact avec nous (dans ce cas, il lui était demandé d’entrer dans l’Eglise catholique, de recevoir le baptême), eh bien, ce comportement doit être évité : “Mon amitié pour vous aurait été une raison pour moi de refuser votre message, car j’aurais eu peur des possibilités d’erreur et d’illusion impliquées par une influence humaine dans le domaine des choses divines” (36) . L’obéissance est donc orientée seulement vers la nécessité, alors que Simone Weil abandonne – comme cela a été souvent signalé – l’idée de la résurrection, qui lui semble encore motivée par un intérêt, par un calcul, pour accompagner le Christ dans la mort : “Car je ne désire pas autre chose que l’obéissance elle-même dans sa totalité, c’est-à-dire jusqu’a la croix” (29).
Ce concept d’obéissance et aussi celui de nécessité, mériteraient naturellement bien des considérations. Ils appartiennent au centre de la perspective théorico-mystique de Simone Weil, et d’autre part il ne serait pas possible d’en donner ici une description complète65. Je me limiterai à dire que la nécessité (la nécessité matérielle, physique) est le système de lois naturelles au sein duquel nous nous trouvons insérés par notre condition corporelle, et que Simone Weil identifie avec Platon comme âme du monde (Timée) et avec le christianisme comme Logos, deuxième personne de la Trinité. Dans ce sens, observe l’auteur, au Dieu personnel de la tradition européenne nous devons ajouter le Dieu impersonnel de la culture grecque et orientale : l’obéissance à ce dernier n’est pas un simple athéisme, comme le croit l’Occident chrétien, mais une forme positive d’amour envers Dieu qui se manifeste dans la régularité de la création. L’amour de Dieu est donc une acceptation de la nécessité du monde (comme dans la position stoïque) ou une acceptation de la volonté divine(comme dans la position chrétienne) ; celles-ci se manifestent dans une attitude d’écoute (que Simone Weil appelle attention ou attente), sans que nous ne nous limitions à une pensée ou à un contenu particulier, qui nous mènerait à des biens factices (à des succédanés : c’est ici qu’apparaît l’Eglise, comme réalité mondaine).
Une deuxième raison qui l’empêche d’adhérer à l’Eglise est pour ainsi dire le caractère prophétique du personnage, qui conserve du prophétisme juif l’isolement volontaire, l’opposition à son propre milieu : car elle est convaincue que le christianisme, tel qu’il s’est réalisé historiquement, n’a pas atteint la véritable universalité qui était présente dans son principe, et qu’il faut donc l’indiquer et la promouvoir. Simone Weil n’appartiendra donc jamais à aucun groupe, à aucune association ou organisation, parce que cela l’empêcherait de se fondre totalement dans tout milieu, quel qu’il soit : “Je sens qu’il m’est nécessaire, qu’il m’est prescrit de me trouver seule, étrangère et en exil par rapport à n’importe quel milieu humain sans exception” (26).
Mais la nécessité dont nous avons parlé, n’est pas la seule. Toute sa vie, Simone Weil a attendu une contrainte pour agir, une nécessité qui lui venait de Dieu lui-même, et elle a évité d’aller de l’avant, même dans le sens du bien, sans cette impulsion qui lui parvenait pour ainsi dire de l’extérieur. “Dieu récompense l’âme qui pense à lui avec attention et amour, et il la récompense en exerçant sur elle une contrainte rigoureusement, mathématiquement proportionnelle à cette attention et à cet amour. Il faut s’abandonner à cette poussée, courir jusqu’au point précis où elle mène, et ne pas faire un seul pas de plus, même dans le sens du bien” (15).
Dans le texte central, “Autobiographie spirituelle”, Simone Weil se présente comme étant tout à fait stable dans les questions fondamentales. Elle a toujours été chrétienne, “sans l’entremise d’aucun être humain” (36) ; elle n’a jamais cherché Dieu, à aucun moment de sa vie, parce que c’est un problème “dont les données manquent ici bas” (36) ; elle a toujours cru “que l’instant de la mort est la norme et le but de la vie”, et elle n’a jamais désiré pour elle “un autre bien” (37). L’anthropologie religieuse que Simone Weil construit à travers cette rapide annotation possède un caractère de confession (puisqu’il nous montre une image d’elle-même) tout en visant une normativité universelle : destin, vocation, parcours déjà tracé – comme pour le Christ de von Balthasar – qui cependant se précise, se définit lorsque l’attention ou l’amour augmente la constriction. Il s’agit d’une mécanique spirituelle dont les divers passages sont indiqués avec exactitude : vocation – obéissance – nécessité – impulsion, où l’impulsion à agir répond à la constriction, et où la constriction répond à l’attention. “La plus belle vie possible m’a toujours paru être celle où tout est déterminé soit par la contrainte des circonstances soit par de telles impulsions, et où il n’y a jamais place pour aucun choix” (38).
Un des aspects les plus originaux de cette expérience autobiographique est le refus de la médiation culturelle, la conviction qu’il est réellement possible d’avoir une rencontre personnelle avec Dieu, un “contact” – et même que ce contact soit en substance déjà advenu, sans aucune intervention humaine (41-45). “La certitude que j’avais reçue, c’était que quand on désire du pain on ne reçoit pas des pierres. Mais en ce temps je n’avais pas lu l’Evangile” (39). Elle avait quatorze ans, mais l’Evangile était en elle depuis toujours, comme le christianisme, comme le Christ : “Quant à l’esprit de pauvreté, je ne me rappelle pas de moment où il n’ait pas été en moi… J’ai eu dès la première enfance la notion chrétienne de charité du prochain… La notion de pureté, avec tout ce que ce mot peut impliquer pour un chrétien, s’est emparée de moi à seize ans… Bien entendu, je savais très bien que ma conception de la vie était chrétienne. C’est pourquoi il ne m’est jamais venu à l’esprit que je pourrais entrer dans le christianisme” (39-41).
La longue citation était nécessaire pour montrer combien pour Simone Weil la révélation intérieure, la lumière du Prologue de Jean, atteint vraiment tous les hommes, au deça et hors du christianisme historique, et aussi dans les autres religions. Bien que la foi catholique lui apparaisse “de toutes la plus pleine de lumière” (250), on pourrait penser, précisément sur la base de l’Ecriture, que bien longtemps avant le Christ il y ait eu une révélation supérieure à celle d’Israël ; il peut y avoir eu ou il y aura d’autres incarnations du Verbe (250-51). Si révélation signifie qu’une seule communauté, ou un seul moment de l’histoire, détiennent la vérité, cela doit être fondamentalement refusé. C’est la voie déjà parcourue par Rousseau, qui disait (en 1762) : “S’il était une Religion sur la terre hors de laquelle il n’y eut que peine éternelle, et qu’en quelque lieu du monde un seul mortel de bonne foi n’eut pas été frappé de son évidence, le Dieu de cette Religion serait le plus inique et le plus cruel des tyrans”66.
13. La confession entendue comme auto-objectivation, multiplication des voix, ouverture à l’autre non plus en tant qu’objet mais comme sujet : “L’ethnologue écrit-il autre chose que des confessions ?”67. Je rappelle ici un célèbre essai sur Rousseau, auteur considéré par Lévi-Strauss comme le fondateur de la nouvelle orientation anthropologique. Non seulement la connaissance d’ “un monde nouveau” nous apprendrait “à connaître le nôtre” (Discours sur l’origine de l’inégalité, Note X68), mais plus profondément, c’est de la possibilité d’objectiver notre monde (notre moi) que nous vient une authentique compréhension de l’ “autre”. En effet, il peut paraître étrange que “Rousseau aitpu, simultanément, préconiser l’étude des hommes les plus lointains, mais qu’il se soit surtout adonné à celle de cet homme particulier qui semble le plus proche, c’est-à-dire lui-même” ; et que “dans toute son œuvre, la volonté systématique d’identification à l’autre aille de pair avec un refus obstiné d’identification à soi”. La réponse, s’il en était encore besoin, nous la trouvons dans l’ethnologie contemporaine, où “l’observateur se saisit comme son propre instrument d’observation”, il apprend à se connaître, “à obtenir d’un soi, qui se révèle comme autre au moi qui l’utilise, une évaluation qui deviendra partie intégrante de l’observation d’autres soi. Chaque carrière ethnographique trouve son principe dans des ‘confessions’ écrites ou inavouées”69.
Plus récemment, ce concept d’autobiographie en tant que clé de la compréhension anthropologique a été contesté par Pierre Bourdieu dans différents écrits (Raisons pratiques, 1994 ; Science de la science et réflexivité, 2001 ; Esquisse pour une auto-analyse, 2004) et remplacé par le concept d’auto-analyse sociologique : on ne peut pas, selon Bourdieu, décrire un trajet dans le métro (l’équivalent d’une vie particulière) sans prendre en compte la structure du réseau à l’intérieur duquel se réalise le “voyage”. Bourdieu est un héritier de cette extériorisation radicale que la culture philosophique française a imposée avec Lévi-Strauss, Foucault, Althusser aux tendances phénoménologiques précédentes (exemplaire en ce sens est l’Archéologie du savoir de Foucault, 1969), qui jouaient au contraire sur l’intériorité d’un vécu rapportable à la conscience individuelle. Comme Lévi-Strauss, il s’intéresse lui aussi à l’objectivation de l’auteur, du sujet connaissant, mais cette objectivation ne passe pas par la confession, mais bien à travers une application ultérieure (à elle-même) de la science sociologique ; le sujet de Bourdieu est pluriel, collectif, celui de Lévi-Strauss semble plutôt individuel (Tristes tropiques est une aventure qui a puisé ses modèles dans la littérature surréaliste, ou symboliste70). Bourdieu joue donc essentiellement sur les relations, sur le champ à l’intérieur duquel l’écrivain doit opérer. “A la différence des biographies ordinaires, la trajectoire décrit la série des positions successivement occupées par le même écrivain dans les états successifs du champ littéraire, étant entendu que c’est seulement dans la structure d’un champ… que se définit le sens de ces positions successives”71.
Plus récemment il a distingué une “réflexivité narcissique”, centrée sur la contemplation des propres expériences et totalement privée d’effets pratiques, de la “réflexivité réformiste”, qui n’est pas le problème d’une seule personne et ne peut s’exercer pleinement que si elle est pratiquée par l’ensemble des chercheurs engagés dans le champ ; l’objectif polémique est encore certainement l’autobiographie de Lévi-Strauss. “ Comment, sans s’abandonner à la complaisance narcissique, s’appliquer à soi-même ce programme et faire sa propre sociologie, son auto-socioanalyse, étant entendu qu’une telle analyse ne peut être qu’un point de départ et que la sociologie de l’objet que je suis, l’objectivation de son point de vue, est une tâche nécessairement collective ?”72.
A la multiplication des sujets par la confession, à laquelle aboutit dans son analyse le rousseauisme de Lévi-Strauss, on peut associer la recherche, désormais célèbre, de Mikhaïl Bakhtine (Problèmes de la poétique de Dostoïevsjuki, 1929) qui oppose le roman monologique de Tolstoï à la création polyphonique de Dostoïevski73. Dans le roman de type traditionnel nous pouvons observer partout la présence de l’auteur, le poids de son idéologie ou de sa vision du monde, comme par exemple dans Guerre et paix qui représente la réaction de l’élément national, de la vieille Russie asiatique, contre l’invasion culturelle et militaire de l’Occident. Dans cette représentation nous avons différents personnages, mais ils sont tous en quelque sorte une voix de l’auteur, une manifestation de lui-même. Il existe toutefois, selon Bakhtine, une autre possibilité, celle du roman à plusieurs voix, ou “polyphonique”. Chaque personnage devient la source dernière ou définitive d’un certain mode de concevoir l’univers, les autres et soi-même. Le personnage n’est plus l’expression d’une seule personnalité cachée, qui l’oblige à s’insérer et à se déterminer dans le cadre d’une vision du monde et d’un langage déjà donnés, mais il est pour ainsi dire libéré. L’auteur ne sait et ne peut dire qui est effectivement le personnage (il ne peut en donner une définition psychologique, ni en indiquer le caractère ou le destin) ; il peut seulement l’interroger, le faire parler, s’adresser à lui pour qu’il manifeste – d’une manière toujours indéterminée, toujours incomplète – une image de soi ; mais cela ne peut se produire à l’intérieur d’un seul langage. Les mots sont les mêmes mais ils acquièrent un sens différent selon celui qui les prononce : l’auteur, le personnage, l’ “image de l’auteur”, etc. On a ainsi un entrecroisement de plans linguistiques qui correspond à l’entrecroisement des divers univers moraux et politiques.
14. Concluons nos réflexions par quelques considérations sur la mémoire. Il y a avant tout, chez Augustin comme chez Rousseau, une distinction de plans : le passé en tant que tel et sa reprise dans le souvenir ; aussi la narration est-elle toujours narration d’un présent qui est mémoire d’un passé disparu : “je vous conjure de me permettre et de m’accorder la grâce pour votre gloire de rassembler maintenant dans mon souvenir tous les tours et les retours de mes égarements passés…”(Conf. IV, 1). De plus, la mémoire impose une réélaboration des données : parce que, d’une part, elle contient des pensées obtenues “en y ajoutant ou diminuant, ou changeant quelque chose que nous avons connu par les sens” (Conf. X, 8), d’autre part, les événements passés demeurent en nous sous forme d’images mentales, et seules celle-ci sont passibles de narration. Par ailleurs, toute la partie strictement autobiographique des Confessions est racontée du point de vue d’une conversion déjà atteinte, et cette supériorité de l’élément spirituel peut modifier l’ordre, la succession ou le sens des événements.
Aux images sont associés des sentiments. Des sentiments que nous avons éprouvés alors, dans notre passé, et dont la mémoire conserve la trace ; des sentiments que nous éprouvons à présent, en reconsidérant ces faits et les conditions intérieures qui les avaient accompagnés. “Tout ceci se passe en moi-même dans ce grand palais de ma mémoire… C’est là que je me rencontre moi-même, et que je me représente le temps, le lieu, les autres circonstances de ce que j’ai fait, et les dispositions dans lesquelles j’étais lorsque je faisais ces actions” (Conf. X, 8). Cependant l’événement crucial représenté par la conversion crée une opposition dramatique entre présent et passé, entre l’Augustin qui narre et l’Augustin narré, et cette situation met encore en relief cette duplicité de plans qui est structuralement indispensable à tout souvenir : car, considérant maintenant certaines joies passées, on peut s’en repentir, en percevoir la vacuité, et d’autre part on peut se réjouir d’être finalement sorti d’une condition d’inquiétude, d’angoisse. “Ma mémoire conserve aussi les diverses passions de mon esprit, non pas en la même manière qu’elles sont en lui lorsqu’il les ressent, mais en une autre manière fort différente et conforme au pouvoir qu’elle a de conserver les images et les espèces des choses. Car je me souviens sans être gai, d’avoir été dans la joie ; sans être triste, d’avoir été dans la tristesse… Et au contraire il arrive quelquefois que je me souviens avec joie d’avoir été triste ; et avec tristesse d’avoir été dans la joie” (Conf. X, 13).
Mais la mémoire n’est pas seulement une récupération du passé ; c’est une pensée qui crée de l’ordre dans la dispersion de notre vie, et l’autobiographie est une recherche de l’unité en tant que don, en tant que grâce, et non comme un bien produit par l’homme (“Car je ne dis rien de bon aux hommes que vous n’ayez ouï auparavant dans le secret de mon cœur où je parle à vous, et vous n’entendez rien de moi dans le secret de mon cœur, que vous-même ne m’ayez dit auparavant”, Conf. X, 2). Il se crée dans la mémoire le rapport entre cette révision ou reconstruction du passé et les attentes, les projections vers l’avenir : “C’est là que je conserve les images des choses que j’ai connues par expérience, … et qu’en conférant toutes ces expériences passées les unes avec les autres, je forme des jugements de ce qui peut arriver et de l’espérance qu’on en doit avoir” (Conf. X, 8).
Dans un article de 1987, Paul Archambault a cru voir entre les Confessions d’Augustin et celles de Rousseau un contraste décisif, lié à une orientation différente de la temporalité74 : Augustin tourné vers l’avenir et la libération du péché, Rousseau vers le passé et l’intériorité, à savoir en définitive vers lui-même. Se trouvant dans l’impossibilité de remonter à notre état primitif d’innocence, il aurait cherché à “simuler ce retour par l’élimination des rapports sociaux, la mémoire, la religion naturelle, les rêveries solitaires”. Le résultat serait une foi radicalement corrompue par le retour sur soi-même : “La religion naturelle de Rousseau … est une foi privée de la dimension de l’avenir, pleine de révélations heureuses à présent perdues (sauf dans la mémoire) et sans espoir de rédemption (sauf par la mémoire)”75.
J’ai fait moi-même allusion à un bonheur retrouvé dans la mémoire, à travers l’intensification de scènes de jeunesse, et dans ce sens on peut convenir avec Archambault que, pour Rousseau, “la représentation répétée de souvenirs heureux est la seule garantie de liberté intérieure”76. Mais nous ne pouvons pas non plus oublier que l’attraction du passé (même au sens historique : Rome, Sparte) dérive du jugement négatif sur la civilisation présente, que l’“état de nature” est un modèle et une hypothèse, et que le souvenir ne nous plonge pas nécessairement dans l’obscurité ou la limitation d’un fait psychologique. Nous trouvons aussi chez Rousseau certaines références à Augustin : “C’est l’histoire de mon âme que j’ai promise, et pour l’écrire fidèlement je n’ai pas besoin d’autres mémoires : il me suffit, comme j’ai fait jusqu’ici, de rentrer au dedans de moi”77.
(Traduction de Brigitte Pasquet Gotti)
1L’invention de l’autobiographie. D’Hésiode à Saint Augustin, Presses de l’École normale supérieure, Paris 1993.
2 E. Cassirer, Thomas Manns Gœthe-Bild. Eine Studie über Lotte in Weimar, « The Germanic Review », XX n. 3, octobre 1945, 171.
3 La bibliographie est très vaste à ce sujet : je me limiterai à indiquer le livre célèbre de K. Löwith, Histoire et Salut : les présupposés théologiques de la philosophie de l’histoire (1949), Gallimard, Paris 2002.
4 P. Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Seuil, Paris 1994, 81-83.
5 W. Dilthey, Introduction aux sciences de l’esprit et autres textes (1883), sous la dir. de S. Mesure, Editions du Cerf, Paris 1992, 281-82.
6 La typologie des “visions du monde” qui caractérise la dernière phase de sa pensée (Théorie des conceptions du monde : essai d’une philosophie de la philosophie (1911), P.U.F., Paris 1946) attribue à la supériorité du connaître le naturalisme, du sentir l’idéalisme objectif et du vouloir l’idéalisme subjectif.
7 W. Dilthey, Introduction aux sciences de l’esprit, cit., 257. Les pages indiquées par la suite entre parenthèses dans le texte se réfèrent à la même édition
8 Je me réfère à des considérations émises par Foucault dans son interprétation de Kant; voir M. Foucault, Introduction, dans E. Kant, Anthropologie d’un point de vue pragmatique, Vrin, Paris 2008, 11-79.
9 R. De Monticelli, Una metafisica al vocativo, dans Agostino, Confessioni, Garzanti, Milano 1991, XI ed. 2003, LII-LIII.
10 R. De Monticelli, op. cit., LIV-LV.
11 Voir Plan der Fortsetzung zum Aufbau der geschichtlichen Welt in den Geisteswissenschaften, dans Dilthey, Gesammelte Schriften, Teubner, Leipzig-Berlin, Band VII (1927), sous la dir. de B. Groethusen, 191-291.
12 Voir Th. Mann, Gœthe’s Laufbahn als Schriftsteller (1932) in Adel des Geistes, Bermann-Fischer, Stockholm 1945.
13 J. Starobinski, J.-J. Rousseau. La transparence et l’obstacle, Gallimard, Paris 1971, 222-223.
14 Voir J.-J. Rousseau, Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris 1959 et ss., vol. I (OC I), Les Confessions, 3, 5, et vol. III (OC III), Préface du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 122 à 127.
15 Voir W. Dilthey, Contribution à l’étude de l’individualité (1895-96) dans : Le monde de l’esprit, tome I, Aubier, Paris 1947, 247-317.
16 J.W. Gœthe, Poésie et vérité, trad. de P. du Colombier, Deuxième partie, Livre VII, Aubier, Paris 1941, 173.
17 Voir W. Dilthey, Gœthe und die dichterische Phantasie (1877)dans Das Erlebnis und die Dichtung, Teubner, Leipzig 1905, 19072, 159-248.
18 Voir mon article Un mondo oltre il mondo. « Vita » e « poesia » nella formazione del concetto di « spirito », « Il Mulino », XXXIV, n. 302 (novembre – décembre 1985), 872-895.
19 E. Cassirer, Thomas Manns Goethe-Bild, cit., 193-94.
20 J.W. Gœthe, Poésie et vérité, cit., Deuxième partie, Livre X, 273-78.
- 21-J. Rousseau, Les Confessions, Livre IX, OC I, 440.
22 T. Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique, Seuil, Paris 1981, 50.
23 E. Cassirer, Thomas Manns Goethe-Bild, cit., 171.
24Rousseau juge de Jean Jaques, Dialogue III. Voir J.-J. Rousseau, dans OC I, 936.
25 J.-J. Rousseau, Fragments politiques, X, 1, OC III, 529. Voir aussi Emile ou De l’éducation, Livre II, OC IV, 415, note : “Les anciens historiens sont remplis de vues dont on pourrait faire usage quand même les faits qui les présentent seraient faux : mais nous ne savons tirer aucun vrai parti de l’histoire; la critique d’érudition absorbe tout, comme s’il importait beaucoup qu’un fait fut vrai, pourvu qu’on en pût tirer une instruction utile”.
26 J. Starobinski, op. cit., 235.
27 J.-J. Rousseau, Les Confessions, Livre VII,OC I, 278.
28 J.-J. Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire, I promenade, dans OC I, 1001.
29 J.-J. Rousseau, Les Confessions, Livre IV, OC I, 174.
30 J. Starobinski, op. cit., 236.
31 J.-J. Rousseau, Dialogues, OC I, 936.
32 Th. Mann, Anna Karenina (1940) dans Adel des Geistes, cit. 280-81.
33 T. Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique, cit., 140-41.
34 M. Foucault, Dits et écrits, I, 1954-69, Gallimard, Paris 1994, 831.
35 T. Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique, cit., 82-83.
36 Voir Th. Mann, Gœthe et Tolstoï (1922), Payot, Paris 1967.
37 Voir mon article Cassirer e la dimensione simbolica, « Il Mulino », XXXIII, n. 295 (septembre – octobre 1984), 735-46.
38 J.-J. Rousseau, Les Confessions, OC I, 644.
39 Voir P. Burgelin, Les Confessionsde Jean-Jacques Rousseau, dans AA.VV., La diaristica filosofica, sous la dir. de E. Castelli, Cedam, Padova 1959, 42 .
40Apologie de Socrate, 36d – 37.
41 J.-J. Rousseau, Les Confessions, OC I, 278.
42 J.-J. Rousseau, Les rêveries du promeneur solitaire, OC I, 995 : “Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même”.
43 Voir M. Foucault,Dits et écrits, I cit., 205.
44 Voir P. Burgelin, op. cit., 40; J. Starobinski, op. cit., 228-29.
45 Voir mon article L’autoalienazione del soggetto nell’ultimo Rousseau, dans AA.VV., Temporalità e alienazione, Istituto di studi filosofici, Roma, 1975, 455-63.
46 T. Todorov, Mikhaïl Bakhtine, le principe dialogique cit., 170-71.
47 M. Foucault,Dits et écrits, I cit., 204.
48 C. Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Plon, Terre humaine/Poche, Paris 1955, 467.
49 M. Foucault, Dits et écrits, I cit., 204-05.
50 F.M. Dostoïevski, Les Nuits blanches. Le sous-sol, Gallimard, Paris 1969, 169-71.
51 Voir J.-J. Rousseau, Les Confessions, OC I, 5.
52 Saint Augustin, Confessions, trad. A. d’Andilly, Gallimard, folio classique, Paris 1993, 338. Les pages citées par la suite entre parenthèses dans le texte se réfèrent à la même édition.
53 H. U. von Balthasar, Théologie de l’histoire (1960), Parole et Silence, Paris 2003, 45-48.
54 J.-J. Rousseau, Fragments politiques,VI 3, OC III , 510.
55 J.-J. Rousseau, La Nouvelle Héloïse, Troisième partie, Lettre XVIII, OC II, 354. Voir mon article L’amour impossible. Passion et mariage dans La “Nouvelle Héloïse”, “Etudes J.-J. Rousseau”, Volume onzième, Musée J.-J. Rousseau, Montmorency 1999, 235-242.
56 Voir J. Starobinski, op. cit., 218-19.
57 J.-J. Rousseau, Les Confessions, OC I, 5, 175.
58 J.-J. Rousseau, Les Confessions, OC I, 59-60.
59 Abélard et Héloïse, Correspondance, Préface d’E. Gilson, Gallimard, folio classique, Paris 2000, 66, 109.
60 De Monticelli, op. cit., IL, LII-LIII.
61Voir aussi Conf. X, 29: “C’est la continence qui nous ramène à cette unité suprême dont nous nous étions éloignés pour nous répandre dans la multiplicité des créatures ”.
62 M. Zambrano, La confession, genre littéraire (1943), Jérôme Millon, Paris 2007, 52-53.
63 C. Lévi-Strauss, Tristes tropiques, cit., 497. Ce qui n’exclut pas naturellement l’autre sens possible, à savoir qu’en ce monde – non seulement pour l’auteur – les sauvages et les voyages sont finis.
64 Voir S. Weil, Attente de Dieu, Fayard, Paris 1966, 40-41. Les pages citées par la suite entre parenthèses dans le texte se réfèrent à la même édition.
65 Voir mon article Ontologie et christologie chez Simone Weil, “Cahiers Simone Weil”, XXIII, n° 3 (septembre 2000), 333-348.
66 Voir J.-J. Rousseau, Emile, Livre IV, OC IV, 609-610.
67 C. Lévi-Strauss, Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l’homme, (1962), dans Anthropologie structurale deux, Plon pocket, Paris 1996, 51. Voir J. Derrida, Nature, Culture, Ecriture : de Lévi-Strauss à Rousseau, “Cahiers pour l’Analyse” n. 4 (septembre – octobre 1966), 1-45; puis dans J. Derrida, De la grammatologie, Paris 1967, 149-202.
68 J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, OC III, 214.
69 C. Lévi-Strauss, Jean-Jacques Rousseau, fondateur des sciences de l’homme, dans Anthropologie structurale deux, cit., 47-48. Voir mon article Claude Lévi-Strauss: dal dubbio antropologico alla metafisica dell’inconscio, dans AA.VV., Strutturalismo filosofico, Gregoriana, Padova, 1970, pp.163-73.
70 Sur l’esthétique de Lévi-Strauss, voir M. Rueff, Un «protreptique» sensible : exhortation à l’anthropologie structurale, dans “Agenda de la pensée contemporaine”, n° 13, printemps 2009, Flammarion, Paris, 111-130.
71 P. Bourdieu, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, cit., 78-79, 88.
72 P. Bourdieu, Science de la science et réflexivité, Raisons d’agir, Paris 2001, 184.
73 Voir mon article Mikhaïl Bakhtin: il romanzo polifonico di Dostoevskij, « Lingua e stile »,VI, n. 2 (août 1971), 295-315.
74 Voir P. J. Archambault, Rousseau’s Tactical (Mis)reading of Augustine, “Symposium. A Quarterly Journal in Modern Foreign Literature”, vol. XLI n. 1 (Spring 1987), 6-14.
75 On trouve une évaluation analogue qui souligne la déviation, au sens narcissique et immanentiste, de la religiosité de Rousseau dans le célèbre essai de Jacques Maritain, Trois réformateurs : Luther, Descartes, Rousseau, Paris, Plon, 1925 (et précédé en 1921 de J.-J. Rousseau et la pensée moderne, “Annales de l’Institut Supérieur de Philosophie” – Louvain, Tome V, 221-262).
76 Voir J.-J. Rousseau, Confessions, OC I, 114-15 (“J’ai étudié les hommes et je me crois assez bon observateur. Cependant je ne sais rien voir de ce que je vois; je ne vois bien que ce que je me rappelle, et je n’ai de l’esprit que dans mes souvenirs”), 226 (“Mon imagination, qui dans ma jeunesse allait toujours en avant et maintenant rétrograde, compense par ces doux souvenirs l’espoir que j’ai pour jamais perdu. Je ne vois plus rien dans l’avenir qui me tente; les seuls retours du passé peuvent me flatter … ”).
- 77-J. Rousseau, Les Confessions, OC I, 278.
Source Clarens Rousseau
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