L’époque des Lumières est certainement un moment historique qui a fortement marqué notre imaginaire collectif, tout comme la Renaissance ou l’Antiquité grecque. Il s’agit en effet de l’un de ces moments où l’humanité semble se réveiller du sommeil de l’ignorance, se délivrer du joug de l’obscurantisme, repousser l’horreur de la violence et embrasser la tolérance. En réalité, cette époque, comme toutes les autres, est beaucoup plus complexe de ce qu’elle ne paraît à un premier regard. Si d’un côté un nombre très remarquable de grands hommes embrasse la cause philosophique, et s’engage activement pour améliorer le monde, de l’autre côté le XVIIIe siècle français connaît et alimente toujours des réalités terribles comme l’esclavage, la colonisation, la censure, l’absolutisme monarchique, les persécutions religieuses, les emprisonnements arbitraires, etc.
L’objet de cette étude est en particulier l’analyse de la façon dont les philosophes français abordent la question de « l’autre », de l’étranger, dans un contexte politique et culturel qui prévoit toujours l’exploitation des esclaves et la conquête de terres essentiellement volées aux populations autochtones. Dans un premier temps, on donnera un cadre des événements principaux qui marquent la France au cours du XVIIIe siècle, tout en réservant une place particulière à l’analyse du mouvement des Lumières. Ensuite, nous nous focaliserons sur la situation coloniale française et nous verrons de quelle façon les philosophes, défenseurs par excellence des droits de l’homme, réagissent à la question coloniale et à celle de l’esclavage. Dans un deuxième temps, on se concentrera sur trois philosophes en particulier qui font usage d’un personnage étranger dans leurs œuvres, à savoir Montesquieu, Voltaire et Diderot. Tout d’abord, on dédiera un chapitre à la définition de la figure du « bon sauvage », le sauvage pur et non civilisé qui vit selon Nature, personnage central dans notre étude, et à ses premières apparitions en littérature. Ensuite, on analysera la raison pour laquelle chacun desphilosophes à l’étude choisit d’employer cette figure dans son œuvre, et la façon dont il la réinterprète et la réinvente de façon personnelle. Pour chacune des œuvres à l’étude, à savoir les Lettres Persanes de Montesquieu, L’Ingénu de Voltaire et le Supplément au voyage de Bougainville de Diderot, on analysera le sujet, la forme, un extrait tiré de l’œuvre, et surtout le rôle du « bon sauvage » dans chaque ouvrage.
Le but de l’étude est de chercher à comprendre quelle est la véritable position de ces trois philosophes face à la question de « l’autre ». Pourquoi emploient-ils des personnages étrangers dans leurs œuvres ? S’agit-il tout simplement d’un escamotage rhétorique ? D’un subterfuge philosophique pour contourner la censure et critiquer sa propre société del’extérieur ? Ou bien considèrent-ils le « bon sauvage » comme étant réellement supérieur à l’homme civilisé, en tant qu’être pur et plus proche de la Nature ?
Comme nous le verrons dans la première partie de cette étude, dédiée au contexte historique et culturel, les Lumières françaises sont multiples, dans la mesure où elles ne constituent pas
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