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Les attentats sous la Révolution française
Political violence and democratic transition: political attacks during the French Revolution
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1 À la fin du XXe siècle, beaucoup d’historiens ont renoncé à expliquer la radicalisation politique qui touche la France entre 1789 et 1794 par l’existence d’une « idéologie révolutionnaire », notion dont le caractère artificiel et polémique renvoyait à une période de guerre froide historiographique désormais révolue. Se détournant de la seule analyse des discours et des idées politiques, ils se sont tournés vers les pratiques et les expériences, tout particulièrement vers la violence. De celle-ci, ils ont surtout retenu la dimension collective. Objet privilégié de la réflexion en sciences humaines en raison d’une longue tradition de recherche sur les génocides et massacres de masse des guerres mondiales, réactualisé par les événements de l’ex-Yougoslavie (1991-2001) et du Rwanda (1994)1, le massacre est dès lors devenu un objet central de l’historiographie de la fin du XVIIIe siècle, confortant l’idée selon laquelle cette période se traduit par une aggravation sans précédent des atrocités civiles et militaires. Le plus souvent, révolution et violence sont ainsi de nouveau systématiquement associées. Les travaux qui discutent cette thèse sont pourtant nombreux et ne proviennent pas d’idéologues de la tradition jacobine. Sans nier la brutalité des carnages, ils soulignent combien ce lien ne peut résumer la période2. Plutôt que de continuer à réifier « la violence révolutionnaire » comme le produit d’une idéologie spécifique, il semble en effet plus pertinent d’étudier « les violences » de la Révolution dans leur diversité, selon leurs contextes temporels, spatiaux et sociaux, pour mieux comprendre leurs fondements, ainsi que leur rôle dans les événements politiques3.
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2 Cette mise en contexte implique de revenir sur les définitions habituellement utilisées pour étudier « la violence ». La focalisation sur les actes collectivement perpétrés pour blesser ou tuer les individus révèle ses limites. La période révolutionnaire française est en effet marquée par de très nombreux types d’atteintes aux personnes et aux biens qui débordent ce seul phénomène. Souvent minorées, figées comme de simples invariants culturels ou amalgamées à d’autres types de pratiques, ces formes spécifiques de violence, à la fois réelles et symboliques, ne peuvent pourtant être écartées au prétexte qu’elles semblent moins atroces, qu’elles ne visent pas toujours des personnes et que leurs effets sont souvent difficiles à mesurer. C’est la thèse de cet article : un grand nombre de gestes et sans lien apparent entre eux puisent dans le répertoire connu de la rébellion de l’époque moderne voire médiévale et fondent les pratiques de la violence politique des siècles suivants : une violence dont la visée est de plus en plus immatérielle, mais qui est également ressentie comme de plus en plus dévastatrice.
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3 Pendant la Révolution française, beaucoup de violences visent des emblèmes politiques, humains ou non humains. Constamment amalgamés au vandalisme, au pillage délictueux ou à l’assassinat, ces gestes ne se limitent pourtant ni à détruire ni à éliminer, mais expriment un message et provoquent des réactions émotionnelles qui pèsent de plus en plus sur les décisions politiques ou déclenchent l’action directe, participant ainsi à construire l’«opinion publique», artefact aux contours incertains, comme instance centrale de la transition démocratique. Ainsi défini, l’« attentat » se distingue clairement de l’« iconoclasme », du « massacre », mais aussi de l’« assassinat » et de la « vengeance ».
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4 Et pourtant, malgré son omniprésence, l’attentat reste une catégorie invisible de l’action politique révolutionnaire. Au-delà de leur apparence hétéroclite, la prise et la destruction de la Bastille, les incendies des châteaux, l’arasement des maisons des rebelles, des tours, des donjons et des clochers, les décapitations des statues des rois et des saints, les pillages, l’exécution de Louis XVI et les meurtres des porte-parole et héros populaires, méritent d’être étudiés ensemble, parce qu’ils relèvent du même procédé : faire peur et provoquer une réaction non maîtrisée. Tous ces actes, ici réunis dans un corpus hétéroclite, ne réunissent certes pas toujours toutes les conditions pour être entièrement définis comme des attentats politiques. Pourtant, ils revêtent tous au minimum une dimension «attentatoire» qui les distingue d’autres formes de violence. Souvent insaisissable, difficile à délimiter, la catégorie d’« attentat » sera donc plus globalement l’occasion de réfléchir sur les mutations des pratiques de violence politique, et tout particulièrement sur les conditions historiques d’émergence du «terrorisme», qui marque de son empreinte la période contemporaine et qui, pourtant, fait encore l’objet d’interprétations très contradictoires dans les divers champs des sciences humaines4.
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5 Après avoir montré que les attentats, apparaissant dans un nouveau contexte historique, doivent leur émergence à la rapide et profonde transition politique de la fin du XVIIIe siècle, on tentera de distinguer leur spécificité au sein des multiples pratiques de violence de la période, ainsi que leur rôle dans le processus révolutionnaire.
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Un nouveau régime de violence
Un climat attentatoire
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6 À partir des années 1750 grandit un nouveau climat de défiance envers les autorités politiques et sociales. Progressivement, les actes d’opposition et de sédition, des plus modestes aux plus téméraires, changent de nature et de signification. En 1757, après avoir tenté de tuer Louis XV, Robert François Damiens est non seulement accusé d’avoir porté
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