Ses Enfants

 

L’attitude de Rousseau à l’égard de ses enfants a été vivement critiquée.
Parfois la critique est directe comme le fait Voltaire dans une lettre à M, de Chabanon en 1766 :

« Voyez Jean Jacques Rousseau, il traîne avec lui la belle demoiselle Levasseur, sa blanchisseuse, âgée de cinquante ans, à laquelle il a fait trois enfants, qu’il a pourtant abandonnés pour s’attacher à l’éducation du seigneur Émile, et pour en faire un bon menuisier. »

Jean Jacques Rousseau quant-à lui avoue avoir abandonné cinq enfants et non trois comme le dit Voltaire. En 1766, Rousseau a 54 ans et Thérèse en a 45.

 

Parfois  la critique est indirecte ; V. Hugo dans Les Misérables  souligne d’abord l’ambiguïté du cas Rousseau :

« …le hasard faisait que Marius passait rue Jean Jacques Rousseau entre Enjolras et Courfeyrac. Courfeyrac lui prenait le bras.

– Faites attention. Ceci est la rue Plâtrière, nommée aujourd’hui rue Jean Jacques Rousseau, à cause d’un ménage singulier qui l’habitait il y a une soixantaine d’années. C’étaient Jean Jacques et Thérèse. De temps en temps, il naissait là de petits êtres. Thérèse les enfantait, Jean Jacques les enfantrouvait. Et Enjolras rudoyait Courfeyrac.

– Silence devant Jean Jacques ! Cet homme, je l’admire. Il a renié ses enfants, soit ; mais il a adopté le peuple  » (Les Misérables 3ème partie, Livre IV, Chapitre 3).

 

Victor Hugo est plus sévère quelques chapitres plus loin en donnant la parole au père Thénardier, parâtre et bourreau d’enfants :

« …, la Thénardier avait eu, ou fait semblant d’avoir, un scrupule. Elle avait dit à son mari :

– Mais c’est abandonner ses enfants, cela !

Thénardier, magistral et flegmatique, cautérisa le scrupule avec ce mot :

– Jean Jacques Rousseau a fait mieux.  » (Les Misérables 4ème partie, Livre VI, Chapitre 1)

 

Jean Jacques Rousseau dans Les Confessions  est plutôt bref sur ce sujet, et reste très évasif. Il évoque l’abandon de ses deux premiers enfants en ces termes  :

« l’enfant  […] fut déposé par la sage-femme au bureau des enfants trouvés dans la forme ordinaire. L’année suivante même inconvénient et même expédient  […] Pas plus de réflexion de ma part, pas plus d’approbation de celle de la mère ; elle obéit en gémissant. »

Après la naissance d’un troisième enfant Rousseau explique, par un très beau sophisme, qu’il ne pouvait pas mieux faire que d’abandonner ses enfants.

S’il ne l’avait pas fait, leur sort aurait pu être encore pire :

« Si je disais mes raisons, j’en dirais trop. Puisqu’elles ont pu me séduire elles en séduiraient bien d’autres : je ne veux pas exposer les jeunes gens qui pourraient me lire à se laisser abuser par la même erreur. Je me contenterai de dire qu’elle fut telle qu’en livrant mes enfants à l’éducation publique faute de pouvoir les élever moi-même ; en les destinant à devenir ouvriers et paysans plutôt qu’aventuriers et coureurs de fortune, je crus faire un acte de citoyen et de père, et je me regardai comme un membre de la République de Platon.  […]  j’ai souvent béni le Ciel de les avoir garantis par-là du sort de leur père, et de celui qui les menaçait quand j’aurais été forcé de les abandonner. Si je les avais laissés à Mme d’Épinay ou à Mme de Luxembourg, qui, soit par amitié, soit par générosité, soit par quelque autre motif, ont voulu s’en charger dans la suite, auraient-ils été plus heureux, auraient-ils été élevés du moins en honnêtes gens ? Je l’ignore ; mais je suis sûr qu’on les aurait portés à haïr, peut-être à trahir leurs parents : il vaut mieux cent fois qu’ils ne les aient point connus.  »
Au livre IX, on a une « bonne raison » de cet abandon : ne pouvant pas se charger lui-même de l’éducation de ses enfants, Rousseau ne voulait pas confier cette éducation à Thérèse et surtout à la mère de celle-ci  :

« Je frémis de les livrer à cette famille mal élevée pour en être élevés encore plus mal. Les risques de l’éducation des enfants trouvés étaient beaucoup moindres. Cette raison du parti que je pris, plus forte que toutes celles que j’énonçai dans ma lettre à Mme de Francueil fut pourtant la seule que je n’osai lui dire. »
A la fin du livre XII, dans un paragraphe où il parle surtout de Thérèse, il parle de ses enfants. Il prétend avoir bien raisonné le problème, mais on ne saura pas quelles sont les « bonnes raisons » qui lui ont fait abandonner ses enfants, tout cela reste bien allusif. Pour d’autres fautes bien moins graves on avait droit à plus de détails :

« Le parti que j’avais pris à l’égard de mes enfants, quelque bien raisonné qu’il m’eût paru, ne m’avait pas toujours laissé le cœur tranquille. En méditant mon Traité de l’Éducation, je sentis que j’avais négligé des devoirs dont rien ne pouvait me dispenser.  »

Dans la phrase qui suit il n’est déjà plus question de ses enfants mais de lui-même et de son ego :

« Le remords enfin devint si vif, qu’il m’arracha presque l’aveu public de ma faute au commencement de l’ Émile, et le trait même est si clair, qu’après un tel passage il est surprenant qu’on ait eu le courage de me la reprocher. »

Il avoue s’être mal conduit envers ses enfants, mais parce qu’il avoue il ne faut pas lui en faire le reproche : J’avoue, donc je suis innocent !

 

Des témoins à décharge laissent entendre que Jean Jacques aurait été stérile, ou que Thérèse aurait été infidèle, et que Rousseau ne se considérait pas comme le véritable père de ces enfants. Dans ce cas qu’est-ce qui l’empêche de l’écrire dans ces Confessions, alors qu’il y raconte ses propres infidélités, et les amours multiples et simultanées de Mme de Warens ?

 

 

26 réflexions à propos de “ Ses Enfants ”

  1. Gérard Deville Cavellin a dit:

    à Paris au dix-huitième siècle on trouvait par an trois mille enfants abandonnés

  2. Pingback: Elisabeth Louise Vigée Le Brun | une dilettante

  3. Pierre Alexis a dit:

    Il aurait pu résister a sa propre lubricité, dès qu’il n’avait pas les moyens d’entretenir des enfants

  4. Lagrange Claude a dit:

    L’enfant est ce qu’il y a de plus sacré; on ne peut pas disserter sur le peuple et vouloir son bien en abandonnant ce qui le construit. Abandonner ses enfants c’est être plus bas que l’animal. Le philosophe se doit d’être exemplaire sinon ce n’est qu’un bonimenteur qui ne mérite aucune écoute. Ecrire l’Emile et abandonner ses cinq enfants montre la perversion du personnage dans la récidive. C’est une abjection qui m’incite à refouler et ignorer ce pauvre homme. La valeur d’un individu s’établit avant tout sur ses actes quoi qu’il puisse dire.

    • Webmeister a dit:

      Ce que l’on oublie .. A cette époque l’abandon signifiait sauver l’enfant, … ce qui bien sûr n’a plus de sens actuellement.
      Je comprends votre message qui est tout a fait légitime. Encore merci de l’attention que vous portez à l’association SIAM JJR
      Christian DIDIER – Président

      • Lagrange Claude a dit:

        Je ne pense pas que Rousseau était dans la situation misérable ce ces pauvres filles-mère sans ressource qui, par amour déposaient leur enfant devant la porte des églises. Je n’accorde pas de circonstances atténuantes à Rousseau en particulier pour la récidive.
        Bien cordialement, Claude LAGRANGE.

      • Jo Valais a dit:

        Les 5 enfants de Rousseau sont morts comme des misérables. Aucun n’a atteint l’âge adulte.
        Il leur a survécu.
        (La vie de Baptiste est une fiction, un roman d’Isabelle Marsay.)
        Les raisons qu’il invoque pour justifier ces 5 abandons à une mort probable sont abjectes : parmi d’autres sic « je ne fais pas confiance à leur mère pour les éduquer correctement », alors qu’il la choisi pour être sa compagne… et que sa belle-famille est prête à la accueillir / adopter.
        Son attitude est terrifiante. Et 5 fois de suite en plus.
        Thérèse a porté 5 enfants pendant 45 mois pour les laisser mourir de faim et de froid…

      • Christian DIDIER a dit:

        Bonjour Monsieur, Il est certain que vous avez vécu ces moments pour en rapporter les précisions digne du journal Gala.
        Que savez vous des enfants de Jean Jacques ROUSSEAU . Si vous avez des informations documentées , nous serions très heureux de les connaitre et d’en vérifier l’authenticité . Bien à vous . Christian DIDIER – Président

    • j’ai aimé lire Rousseau, mais quand on connait ses actes : l’abandon de ses 5 enfants, quelles que soient les circonstances atténuantes que des âmes compatissantes puissent lui trouver, pour moi son oeuvre a perdu toute sa valeur !

  5. Alain de Montere a dit:

    en préalable à mon commentaire, je précise que je suis diplômé es lettres du 3ème cycle: J’ai toujours honni J.J. Rousseau; l’homme est pourri; le prétendu philosophe, un dangereux psychopathe et l’un des responsables des horreurs de 93. Tous ses écrits dignes « des chiottes » devraient être éradiqués de tous les programmes…

    • Webmeister a dit:

      « Le génie ne garantie ni de l’erreur, ni des autres faiblesses humaines. » Horace Pauleus Sannon

    • Jo Valais a dit:

      Alain: vous êtes conséquent. Je partage votre opinion.
      Ces écrits ne sont que des vues de l’esprit sans fondement réels, sans connexion avec une expérience réelle.

  6. Quelle horreur, abandonner ses propres enfants, alors qu’on a les moyens et bcq plus la culture pour les élever correctement.
    C’est juste scandaleux, inadmissible et après ça vient donner des leçons aux autres sur l’Éducation, la société.
    Quel tordu !!!!!

    • Christian DIDIER a dit:

      Cela vous choque pour Rousseau, mais n’oubliez pas que les premiers traités d’éducation (outre les traités pour les Dauphins) ne sont apparus qu’à la fin du XVIIIe siècle avec Condorcet qui fut l’un des premiers à s’intéresser au sujet. La place des enfants dans la société, telle qu’on la connait aujourd’hui, ne date que du XIXe siècle. Rousseau n’est pas plus fautif que tous les autres, il a juste eu le « courage » d’assumer les abandons, chose qui, au demeurant, était extrêmement courante à l’époque.

  7. Régine Belley a dit:

    A cet éternel, sempiternel propos :
    Victor Hugo, s’adressant à l’auteur, a déclaré que certes « vous aviez abandonné vos enfants mais que vous aviez adopté le Peuple et qu’à ce seul titre, ceci valait admiration ».
    Chateaubriand lui, dans son Essai sur les Révolutions, a énoncé « qu’il n’y a peut-être dans le monde entier que cinq ouvrages à lire : l’Emile en est un ».
    Et George Sand (la petite fille de Madame Dupin) a élevé sa fille jusque 6 ans sur le modèle de l’Emile.

    What else ?

    • Merci d’avoir cité ici ces deux autorités. On dit aussi qu’il doutait de sa paternité…
      Je crains que ceux qui critiquent et salissent tout ne soient jamais convaincus, sinon qu’ils ont raison contre Rousseau et la nation qui l’a porté au Panthéon.
      On appelle cela des « trolls » dans d’autres lieux.
      Je me méfie de toutes les opinions arrêtées et de toutes les haines… Et plus encore, de leurs vraies raisons.

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  9. laugié a dit:

    De toute façon Rousseau est dans l’erreur, on ne naît pas tous égaux, ou bon, on a tous des gênes qui se révèleront.

  10. Françoise Navailh a dit:

    Au XVIII° siècle, et pendant très longtemps encore (jusqu’au début XX°), abandonner son enfant et le placer dans un orphelinat, c’est le mettre dans un mouroir certain. Enormément d’enfants mouraient alors à cause des maladies infantiles que l’on ne savait pas soigner (un enfant sur deux ne dépassait pas un an) mais l’abandonner était le vouer à une mort certaine.

    • Christian DIDIER a dit:

      Merci Françoise de votre commentaire et de l’attention que vous portez à la Société: SIAM JJR. C’est votre conclusion qui pose une question … auraient ils été mieux traités autrement ? Jean Jacques Rousseau était il formaté « père » ?
      Il a eu une jeunesse turbulente : Sa mère meurt des suites de l’accouchement et son père doit l’abandonner à un âge encore tendre aux soins d’un pasteur peu commode…

  11. Rousseau ne cesse de pleurer sur lui dans ses confessions. C’est un sommum d’égoïsme. Tellement égoïste, tellement égocentrique qu’il s’est permis de donner des leçons d’éducation au monde entier. Au XVIIIème siècle il y avait des pauvres comme il en a toujours existé, mais il y avait aussi des institutions charitables nombreuses qui venaient au secours des pauvres. Il était trop orgueilleux et trop insensible envers sa progéniture pour ne pas se préférer à eux. Le pire c’est qu’il avoue cependant que sa femme souffrait de ces séparations et que cela ne l’a même pas ému..

  12. Rousseau lui-même l’a écrit dans Emilio et c’est celui d’une personne (dans ce cas il faisait référence à un personnage historique comme un empereur) on sait tout ce qui écrit l’histoire mais rien de sa vie derrière la scène.

    À cette époque, il semble qu’il était utilisé tel qu’il est aujourd’hui: les informations se propageaient sans en connaître la véracité et les gens étaient jugés sans essayer de les aider. Qui sait mieux que lui et Marie-Thérèse combien il y en a et ce qui est arrivé à leurs enfants? À la fin de sa vie, on dit que Rousseau est devenu fou: quelqu’un l’a-t-il aidé? Quand de nos jours une personne devient folle, est-elle jugée ou aidée? Vous souvenez-vous que nous sommes à la fin des années 1700 et non en 2020?

    J’ai lu tous ses ouvrages et, après avoir lu Emilio, je ne pense pas qu’il ait écrit un livre aussi corsé plein de bons conseils juste pour devenir célèbre. Ce qu’il a écrit, il le pensait vraiment même si (le conditionnel est un must) il ne l’a pas mis en pratique.

    Essayez de juger les œuvres et non l’homme.
    Puissiez-vous encore reposer en paix.

    Merci à l’administrateur du site pour cet article intéressant.

    • Christian DIDIER a dit:

      Daniel … C’est un commentaire très avisé que je me permet de mettre en valeur sur ce site. Nous serions, au sein de l’Association SIAM JJR ,heureux de vous savoir parmi nous.
      Mon ami Guglielmo Fornirosa ne pourra que s’en réjouir.
      Les deux dernières phrases de vos propos sont exactement en harmonie avec les valeurs de notre association. A très bientôt et prenez garde à vous ; Christian DIDIER

  13. Jean-Jacques Rousseau, célèbre du jour au lendemain par son Discours sur les sciences et les arts, a permis qu’on le vît un an plus tard, en 1751, ayant abandonné ses enfants. Il resurgit comme philosophe moraliste après avoir traduit l’Apocoloquintose de Sénèque https://hominity.hypotheses.org/11

  14. Bonsoir,
    Et que penser du grand Pablo NERUDA qui aurait abandonné sa seule enfant biologique : MALVA ??

  15. Christian DIDIER a dit:

    En premier lieu Bonjour Monsieur. L’expression d’une opinion peut être mesurée dans sa rédaction. Mais le plus important est aussi de motiver son opinion, ce qui n’est pas votre cas. Je répondrai donc que dans cette course à la médisance incontrôlée vous êtes en tête. Bien cordialement