
Présence de Rousseau dans la « Renaissance » arabe
par Abdelaziz LABIB, Université de Tunis
« Le XVIIIè siècle sied toujours aux Arabes », et « donne consistance à certains mythes »[1] dont, entre autres, l’utopie d’un roi-philosophe incarné à l’âge d’or par Al-Mamûn ou l’image d’un Islam originel que Rousseau – dans un célèbre passage du Contrat social[2] – se représente sommairement comme religion civile et unitaire par opposition au Christianisme qu’il juge « religion toute spirituelle, occupée uniquement des choses du ciel ».[3]
Certes les « influences » des idées des Lumières sur le mouvement intellectuel arabe moderne ont fait l’objet de grandes et instructives études qui ont posé les problèmes essentiels de la recherche et tracé ses grandes directions.[4] Néanmoins, les études arabes – notamment l’histoire comparée des idées – se penchent souvent sur les grands thèmes et « courants » de pensée et entreprennent les rapprochements entre maîtres et disciples sous le rapport de leurs affinités idéologiques. Il est des cas extrêmes où les textes sont subordonnés à une argumentation forcée dans une stratégie d’idéologie « savante ». [5]De ces études ressort, en gros, que la pensée arabe contemporaine est d’un esprit ou éclectique ou syncrétique. Cette thèse serait, en partie, soutenable: ne voit-on pas au 19è siècle finissant le discours modernisateur réunir dans un même mouvement d’ensemble, voire chez un même moniteur comme Farah Antone, Averroès, Bacon, Rousseau, Comte, Renan, Darwin et Nietzsche?[6] Les contradictions de la pensée de Salâma Mûsa ne sont-elles pas celles-là mêmes qui opposeraient les grands auteurs européens qui l’influencent: Rousseau, Bentham, Darwin, Spencer, Nieztsche, etc.?[7] Cet éclectisme, en tant que mode du penser, ne serait-il pas cause et effet de l’absence d’une raison constituante et réflexive qui se doit de s’interroger – si le terme est permis – sur la « philogenèse » de l’idée? Serait-il en même temps le signe distinctif d’une raison pragmatico-instrumentaliste qui, au-delà ou peut-être en deçà de l’explicite, recherche un implicite récupérable qu’elle juge d’après son efficacitédans un contexte différent? Si c’était le cas, est-ce que l’éclectisme serait en mesure d’expliquer – du moins en partie – les déficiences de la réflexion philosophique demeurée inessentielle dans ce mouvement? Ou bien est-ce que ce même éclectisme serait l’expression d’une relative spontanéité de la conscience qui en s’éveillant découvre tardivement la diversité qui compose une scène dont les différents épisodes se sont joués ailleurs? En bref, s’agit-il ici d’une philosophie ou d’une idéologie? Et, ne peut-on pas échapper à ce dualisme au moyen du concept de conscience? Dans un sens comme dans un autre, la question mérite d’être vérifiée dans des cas précis.
Or, le cas Rousseau est intéressant à double titre: d’abord parce que ceux qui, parmi les penseurs arabes, se sont nourris le plus de son oeuvre et de sa vie d’écrivain se rencontrent autour d’une problématique distincte: la liberté égalitaire et laïque. Tels sont Adib Ishaq, Farah Antone ou Salâma Mûsa. Ils diffèrent de ceux qui puisent l’essentiel de leurs idées chez Montesquieu ou Voltaire aussi bien par leur manière que par leur quête morale et politique. Plus encore, les premiers sont séduits chez Rousseau par sa philosophie du sentiment, par son excentrisme critique et par sa vie d’écrivain où le rapport Etre / Pensée se tisse, se ressaisit et s’ouvre à la création.[8] Quant aux seconds, ils entretiennent avec le courant rationaliste et positiviste une relation d’extériorité, objectivante et instrumentaliste. Ensuite, parce que la présence des idées de Rousseau est de nature à rendre la diffusion des valeurs des Lumières moins nivelée et moins uniforme.
Dans l’intervalle de plus d’un siècle allant des années 1830 (Tahtâwî, 1801-1884) jusqu’à la seconde guerre mondiale (Salâma Mûsa, 1887-1958) – époque à la quelle se limite cette réflexion – Rousseau est souvent cité et repris dans des textes arabes. Outre chez les deux écrivains mentionnés, le philosophe français est présent dans les écrits d’Adib Ishaq (1856-1885) et de M. H. Haykel (1888-1956) qui lui consacre un consistant ouvrage bio-bibliographique.[9] Il est présent davantage chez Farah Antone (1874-1922) qui porte un intérêt partagé aux « deux faces »[10] de Rousseau: d’une part, il fait siennes les idées essentielles de l’Emile, du Contrat social et des deux Discours; d’autre part, il s’attache au Moi des Confessions par une forte prédilection. Antone est aussi le premier à traduire en arabe l’Emile[11] ainsi que Paul et Virginie[12] de Bernardin de Saint-Pierre, disciple et ami de Rousseau.
Si encore on était amené à transgresser cette limite indiquée par les historiens (1939), on retrouverait davantage des traductions d’ouvrages de Rousseau. A mentionner d’abord, en raison de sa curieuse particularité, une traduction des Confessions livrée à la fin des années cinquante en Egypte.[13] Elle est publiée dans la collection Kitâbi, sorte de bibliothèque populaire largement diffusée. L’édition est répartie en sept livraisons mensuelles en format de poche. A première vue, les couvertures illustrées en couleur ainsi que les portraits et les desseins qui illustrent épisodiquement le texte font plutôt songer à un vulgaire roman-feuilleton qu’au philosophe romantique de Chambéry et à l’amoureux de Madame de Warens. Chaque livraison – excepté la première – commence par « un résumé » des « épisodes » précédents, et s’achève – excepté la dernière – par un petit « panneau » qui annonce « l’épisode » à venir en des formules destinées à garder le lecteur dans l’attente de l’indéterminé. Une telle édition laisse supposer que les Confessions aient côtoyé – pour un moment – les publications de grande diffusions (entre autres les fameux « livres jaunes ») sur les places publiques du Caire, et dû trouver leur chemin vers un public arabophone relativement large.
A l’opposé, une traduction plus récente et bien soignée des oeuvres maîtresses de Rousseau est publiée à Beyrouth avec le concours de l’Unesco: le Discours sur l’origine de l’inégalité… (1972),[14] le Contrat social (1972),[15]les Confessions (1982)[16] et les Rêveries d’un promeneur solitaire (1983).[17] Naturellement, il n’est question ici que de quelques traductions. Car, outre les Confessions, ce sont le Contrat social et le Discours sur l’inégalité qui ont eu droit à différentes traductions publiées au Caire, à Beyrouth et à Tunis. Néanmoins, les succédantes semblent ignorer les précédentes ou, tout au moins, ne les mentionnent pas. Il est à noter aussi que si les Rêveries d’un promeneur solitaire ont intéressé plus d’un traducteur, La Nouvelle Héloïse semble avoir été négligée tout comme l’article Economie politique de l’Encyclopédie. Pourtant, la Nouvelle Héloïse intervient dans la composition de Zayneb de Haykel (1914), considéré comme l’un des premiers romans arabophones modernes. Aussi, comme si – en matière de langue – la culture arabe pouvait se suffire à elle même,[18] l’Essai sur l’origine des langues n’a fait l’objet, apparemment, que d’une seule traduction tardive qui reflète – par sa simple occurrence – les préoccupations philosophiques de son entrepreneur.[19] Enfin, on ne peut pas s’empêcher de reconnaître la problématique politico-morale (l’alternative démocratico-séculière) de Rousseau, remarquablement re-formulée chez Albert Mansûr dans son ouvrage paru en 1995, Le destin et le choix des Arabes chrétiens,[20] où pourtant le nom de Rousseau n’est pas mentionné.
Il convient à présent de nous situer dans les débuts de ce long cheminement et d’indiquer ses principaux moments. C’est Tahtâwî qui sera abordé dans un premier moment; car c’est lui qui inaugure ce mouvement d’éveil intellectuel appelé « Renaissance » arabe.[21] Ensuite Adib Ishaq; car il est le premier à développer de manière conséquente des idées proches de celles de Rousseau relativement au corps politique. Enfin Farah Antone, car il entreprend la première traduction de l’Emile et s’inspire profondément aussi bien du romantisme de Rousseau que de sa problématique anthropologico-politique.
Il n’est pas exclu de parler de deux réceptions arabes de Rousseau, voire des Lumières : une réception musulmane (Tahtawi, Kawakibi, Sayyd) et une réception chrétienne (Ishaq, Antone). Commençons par rappeler quelques « faits » littéraires et intellectuels notoires. D’abord, il est communément admis que l’élite intellectuelle arabo-chrétienne (notamment dans la grande Syrie du 19ème siècle) a un statut primordial dans la dite « Renaissance » arabe, ou Nahdha ‘arabya, en particulier sur le plan théorique et littéraire. Or il ne faudrait peut-être pas entendre ce rôle comme lui étant exclusif. Si nous utilisons, ici, le terme de chrétien, c’est dans l’intention non pas d’opposer chrétiens et musulmans, mais de relever le statut « minoritaire » de ces penseurs pionniers. En effet, en les « marginalisant »[22] au point de vue de la décision pratico-politique, ce statut les fait, paradoxalement, bénéficier d’une position perspectiviste et heuristique au plan théorique.
Ensuite, la théorie politique musulmane, à l’époque de la nahdha arabe, se meut dans la sphère de la communauté ou « milla ». Ce qui, en gros, correspond toujours à l’idée d’une « ligue ottomane » (Rabita ‘othmanya). L’appel plus ou moins vif à une « autonomie » arabe ne remet pas en cause la légitimité du lien religieux. Tout au contraire, le discours islamo-réformiste aspire à le consolider et à le faire perdurer. L’auréole spirituelle du Califat demeure le réceptacle d’autonomies politiques plus ou moins exprimées.
Différemment, la théorie politique de l’élite chrétienne se meut dans la sphère des concepts modernes de « nation » et de « patrie », mais inscrite dans une perspective laïcisante. Le lien avec la « ligue ottomane » n’étant, au plan religieux, que précairement fondé, il s’appuie sur une autre base : le noyau proprement politique de cette ligue : l’Etat des Tandhimat (Etat des lois et des institutions).
Une question se pose alors : par quoi pouvons-nous expliquer cette position « heuristique » ? De deux chose l’une :ou bien par une raison endogène qui renvoie à l’essence même du christianisme, ou bien par une raison exogène qui fait intervenir des conditions particulières d’existence (« monde ambiant» ou « monde de la vie », dirait un Husserl). Dans le second cas, c’est la position de minorité qui stimule la pensée arabo-chrétienne à s’engager sur la voie de la sécularisation. C’est que la relation au monde ambiant ne peut être fondée par le concept traditionnel de communauté mais par celui de patrie et de démocratie. Mais n’ayant ni la compétence, ni la prétention, sociologiques, nous mettrons entre parenthèse les conditions de l’existence « minoritaire » pour nous pencher , sous un rapport théorique et philosophique, sur la constitution des idées et des concepts. Une sociogenèse des idées est l’objet d’une sociologie de la connaissance. Nous ne pouvons, tout au plus, qu’interpeller le sociologue ou l’historien des religions.
La divergence particulière, au sein de la nahdha, entre penseurs musulmans et penseurs chrétiens explique le clivage des perspectives dans lesquelles se placent les uns et les autres afin d’appréhender la modernité en général et le savoir dit « occidental » en particulier. Un premier regard panoramique nous offre les deux grands pôles suivants :
D’un côté, la conception musulmane distingue – de manière aussi soigneuse que « casuistique » – science(savoir formel et technique) et esprit (morale, théologie, constitution politique, etc.) Selon cette conception, la science est un « outil » neutre de la raison universelle. Cet outil permettra à la « umma » musulmane d’accéder au progrès et au bonheur tout en demeurant la même ! Ainsi Muhammad Abduh fut-il un disciple de Spencer. Or l’on connaît suffisamment les déboires auxquels a conduit cette démarche. Car c’est l’inverse qui – historiquement parlant – s’est effectué : le monde oriental, bien qu’il veuille perdurer identique à « lui-même », est plus affecté par les mœurs et les modes de vie « particuliers » que par l’esprit scientifique et technique, jugé universel.
De l’autre côté, nous avons la conception de l’élite d’origine chrétienne. A ses yeux, l’acculturation intellectuelle se doit d’être radicale : aller au-delà des « effets » de la modernité pour atteindre les principes fondateurs (l’esprit lui-même). Telle est, par exemple, la position d’un Adib Ishâq[23].
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1. Quitter l’état de minorité: pragmatisme ou utopie de Tahtâwî?
Le premier qui rend compte des idées de Rousseau est Tahtâwî. C’est lors d’un séjour à Paris entre 1826 et 1831 qu’il lit le Contrat social.[24] Les circonstances de ce séjour méritent d’être rappelées brièvement. Désigné accompagnateur spirituel d’un premier groupe de stagiaires égyptiens à Paris – la plupart pour y étudier les techniques, la médecine et les sciences de la nature – Tahtâwî est chargé de guider les prières et de veiller sur les bonnes moeurs de ces musulmans en « terre d’infidèles ». On décèle dans le plan de cette mission, établi par Mohammed Ali – « despote éclairé » d’Egypte – une orientation permanente du réformisme princier en Orient: la volonté politique de séparer le savoir scientifique et les acquisitions techniques de leurs fondements philosophiques et de leurs corollaires éthiques. Mais il ne vient pas à l’esprit de Mohammed Ali que c’est précisément le cheikh Tahtâwî qui reviendra un jour en Egypte avec la tête la plus pensante et la plus audacieuse parmi tous. Comme la nature n’aime pas le vide, c’est Tahtâwî qui, dans ses laborieuses études de traduction (grâce aux encouragements de Sylvestre de Sacy), s’attache à l’étude des sciences humaines. Il étudie des écrits philosophiques du XVIIIè siècle français dont ceux de Condillac, de Dumarsais,[25] de Voltaire, de Montesquieu, et de Rousseau, et est témoin attentif de la Révolution de 1830 qui constitue l’objet de l’une de ses oeuvres maîtresses: Purification de l’or pour une [connaissance] abrégée de Paris. On peut dire qu’au point de vue de l’histoire de la pensée, c’est avec Tahtâwî que débute, dans les temps modernes, la lente et sinueuse sortie des Arabes de leurs minorité intellectuelle: penser par soi-même, penser autrement et, surtout, avoir le courage de penser contre l’Autorité et le dogmatisme à partir d’un critérium situé cette fois-ci en dehors de l’échelle de l’Autorité. Pour Anwar Abdel-Malek, c’est « avec lui que le Moyen Age vient à terme, en Egypte, comme dans l’ensemble du monde arabe ».[26]
Dans son Abrégé de Paris.., il consacre un chapitre (Maqâla IV, Chap. V) aux ouvrages lus, étudiés ou traduits pendant son séjour parisien. Tahtâwî y écrit notamment: « J’ai lu un ouvrage sur la Science de la logique […]; un autre ouvrage sur la logique appelé le Livre de Condillac […]; plusieurs livres de littérature dont le (Recueil de Noël), de nombreuses questions contenus dans le Diwan de Voltaire […]; j’ai lu aussi une Correspondance anglaise du Comte de Chesterfield […]. Sur la question des Droits naturels, j’ai lu – dirigé par le maître de cette discipline – le livre de Burlamaqui que j’ai traduit et compris parfaitement […], ainsi que deux « Parties » d’un livre intitulé L’Esprit des Lois dont l’auteur, Montesquieu, est célèbre parmi les Français […]; cet ouvrage est tout comme une balance entre les doctrines légales et politiques. [Montesquieu] est appelé parmi eux le Ibn Khaldûn de l’Europe comme ils disent d’Ibn Khaldûn qu’il est le Montesquieu de l’Orient[…]. J’ai lu aussi, dans ce sens, le Contrat social de Rousseau, lequel est d’un grand dessein. En philosophie, j’ai lu l’histoire ancienne des philosophes, leurs « systèmes », leurs doctrines, leurs aphorismes et leurs maximes […]; j’ai lu de nombreuses « polémiques » du Dictionnaire philosophique de Monsieur Voltaire et de nombreux « controverses » dans les ouvrages philosophiques de Condillac ».[27]
Sur l’éducation, Tahtâwî compose un long traité: Le Messager fidèle pour les filles et les garçons. Un rigoureux rapport (primordial pour un adepte des Lumières) y est établi entre les concepts d’éducation, de sociabilité, d’association politique et de citoyenneté. Les quatre concepts s’autoconstituent dans un tout dont les parties sont indissociables. Or, bien qu’une telle structuration – conçue dans la généralité de son idéation – soit commune aux philosophes et pédagogues sensualo-rationalistes du XVIIIè siècle, elle forme, quant à son architectonique, la texture unifiante de l’Emile. En plusieurs endroits du Messager fidèle, Tahtâwî traduit ou résume des passages de l’Emile.Des locutions, comme « Un auteur dit que… », y sont fréquentes. Elles doivent dans plusieurs cas renvoyer implicitement à Rousseau. L’introduction de l’ouvrage commence par: « Un certain auteur a défini l’éducation comme étant le développement des organes du sens de l’enfant dès sa naissance […] ».[28] La formule est de Rousseau; et l’ensemble de l’introduction résume le premier chapitre du Livre I de l’Emile et annonce le genre de composition qu’entreprendra Tahtâwî dans les quatre premières parties de son ouvrage. Parmi les nombreux thèmes de l’Emileque reprend Le Messager fidèle…, on peut énumérer les suivants : la distinction fondamentale entre trois sources d’éducation: la nature, les hommes et les choses;[29] les bienfaits éco-médicaux de l’allaitement maternel;[30] l’image du corps du nourrisson grec libéré de l’oppression des langes;[31] le paradigme d’une cité grecque où les citoyens sont libres et courageux;[32] la vertu du courage chez une grecque prête à sacrifier son enfant pour l’amour de sa patrie;[33] le nom de Platon suivi d’une allusion au livre de la République, perçu non pas comme un traité de politique mais comme un traité d’éducation;[34] la fonction des voyages dans la formation du savoir et l’affirmation du sens de l’autonomie chez l’individu;[35] les paradoxes de la psychologie féminine;[36] identité et différence ente sexes opposés relativement aux caractères naturels de l’un et de l’autre; l’égalité et l’inégalité des sexes: suprématie civile de l’homme et suprématie psychologique de la femme;[37] l’empire des femmes sur les hommes;[38] l’éducation d’un amour de soi orienté vers l’amour de la cité et la réconciliation entre l’unité numérique et l’unité sociale, entre l’individu et le genre;[39] le devoir d’établir une égalité parfaite entre les hommes quant à leur statut de citoyen;[40] l’exigence du principe naturel d’égalité pour que la liberté – condition majeure du bonheur – soit solidement fondée et préservée;[41] etc.
On ne peut nier à Tahtâwî son effort théorique « d’adaptation ». Mais même l’appel très argumenté à l’héritage intellectuel, littéraire et notamment théologique de l’Islam ne constitue pas le point fort de cet ouvrage; car il remplit plutôt une fonction justificative et défensive. Cependant, Tahtâwî se sépare de Rousseau sur un nombre de points dont l’argumentation théologique elle-même, le rôle accentué qu’il accorde aux livres dans l’apprentissage, la prise en charge de l’idée du Progrès et l’éloge de la science et de la technique, la portée très prononcée de l’institution familiale sur laquelle le livre s’étale longuement (pp. 563-672) et qui semble le recouvrir de bout en bout..
Les deux concepts légaux et corollaires l’un de l’autre, de Loi et de Nation qui sous-tendent L’Esprit des Lois de Montesquieu, les thèmes rousseauistes relatifs aux cités antiques, mais aussi les découvertes des égyptologues de son temps, inspirent à Tahtâwî l’idée vive d’une patrie égyptienne. Et, quand plus tard il est exilé au Soudan par le successeur de Mohammed Ali, Tahtâwî traduit – sous l’influence certaine de l’Emile – l’utopie individualiste de Fénelon: les Aventures de Télémaque. Outre la critique implicite du despotisme, les quelques passages de Télémaque qui décrivent l’Egypte avec sa « terre fertile », ses « jardin délicieux », ses « villes opulentes » et son « heureux… peuple » « conduit par un sage Roi » , ne peuvent que susciter les rêves de Tahtâwî[42]: « que la patrie », écrit-il dans Les Voies des coeurs égyptiens vers les joies des moeurs contemporains – « soit le lieu de notre commun bonheur que nous bâtirons par la liberté, la pensée et l’industrie(…) », et « en faisant correspondre les prescriptions de la Chari’a avec l’utilité publique (…) l’utilité étant l’ensemble des vertus »[43]. Selon lui, la liberté, l’égalité et la tolérance, présidées par des lois fondamentales, sont les valeurs qui doivent fonder une patrie. Hors d’elles, l’idée même de patrie se réduirait à une absurdité de l’esprit. Nation et lois s’impliquent réciproquement et rigoureusement. Inversement, le despotisme est privation de lois et, donc, privation d’un corps politique: il est anarchie. Or ou la nation ou le despotisme.[44]
« Faire correspondre les prescriptions de la Chari’a…« : par une tel appel, Tahtâwî anticipe sur une attitude qui accompagnera le réformisme arabo-musulman dans ses grands traits: admettre le principe d’une raison théoriquejugée universelle en elle-même, et rechercher dans la raison pratique – suivant une méthode pragmatico-thérapeutique sélective – des remèdes aux maux politiques: les fameuses tandhimat. Mais dans un cas comme dans un autre, la science est conçue au point de vue de ses effets et réduite à un moyen qu’il faudrait dissocier de ses conditions historiques de possibilité et des paradigmes intellectuels et mentales plus globales qui le cadrent. Non seulement le Progrès et la Science ne contredisent pas l’Islam, mais ils l’exigent. L’Islam est une religion – pense-t-on – où une importante marge est accordée au séculier. Outre Tahtâwî, des penseurs réformateurs comme Kheireddine (celui-ci cite le Contrat social de Rousseau),[45] Al-Afghâni, Abduh et Abderrâzik n’ont qu’à renouer avec la tradition interprétative: ressusciter al-ijtihâd (effort intellectuel) autorisant les théologiens à interpréter et la réalité et les textes pour y établir une correspondance. Ainsi réinterprété, le texte recouvre-t-il des faits inédits. Un concept de la modernité est doté d’un « correspondant » dans les principes théologiques de l’Islam. Toute une littérature polémiste refleurit autour de cette question et fait perpétuer la théologie en plein dix-neuvième et vingtième siècles. Quel que soit les limites et les dilemmes théoriques de cette orientation, ses inférences pratiques ne sont pas négligeables. Le discours religieux sert-il ici « d’enveloppe » qui est à même de contenir la modernité? Pour Aziz Al-Adhma, hormis l’enveloppe du discours religieux, les sociétés arabes sont comme rongées et transformées par une sécularisation progressive, contradictoire, inégale et à plusieurs niveaux; et ce depuis les premières Tandhimat ottomanes.[46]
C’est au moyen du critère « d’utilité publique« , que Tahtâwî examine le statut pratique de la Chari’a au point de vue de la société civile et politique. Ce critère instaure une finalité, voire une rationalité, séculières et psychologisantes au regard desquelles se vérifient la validité des prescriptions de la Loi musulmane. La société est conçue sous la forme d’une association humaine inscrite dans la loi naturelle et prescrite par la sagesse divine.[47] Or, c’est dans le chapitre VIII du Contrat social traitant de « la religion civile » que Rousseau, brosse un tableau historique des religions avant de les soumettre à un examen critique au moyen du concept légal « d’utilité publique »[48] et d’opérer la célèbre distinction entre religion d’Etat et religion particulière. Le caractère sacré du contrat implique une religion même de « façade »[49]qui soit garante de l’ordre social. Certes, il sont nombreux les auteurs occidentaux qui, depuis Machiavel, conçoivent des projets de sécularisation de la vie civile et politique. Mais si Rousseau retenait, sur ce point, l’attention d’un Tahtâwî ce serait en raison de la place qu’il conserve à la « religion » conçue dans les simples limites du sentimentintérieur. C’est que sans ce sentiment, la moralité se dissout. Si le sentiment de devoir est immanent au point de vue de la vie du Moi et de son existence, l’idée de devoir est transcendante au point de vue de la Loi de la raison législatrice. Au plan de la moralité, la transcendance du règne des fins renferme un aspect de religiosité. D’où l’anti-matérialisme propre à un philosophe des Lumières comme Rousseau. C’est cette mixture de philosophie de la nature et du sentiment religieux qui retiendra aussi l’attention de Farah Antone et de Salâma Mûsa.
A l’époque où Tahtâwî entreprend cette « lecture » de Rousseau, médite sur l’état de la société à partir de l’Emile et traduit Les Aventures de Télémaque, un autre paradigme philosophico-utopique, le Robinson Crusoé de Defoe, figure lui aussi parmi les premiers romans à être traduits en arabe. Or on sait que ces deux titres sont, avec la Républiquede Platon, les seuls ouvrages dont la lecture est recommandée dans l’Emile. Est-ce par un concourt de hasard que l’utopie soit au programme de cet éveil intellectuel en Orient?
Emile, Robinson et Télémaque: trois noms propres et trois singularités. Arabisés, leur barbarisme linguistique accentue leur singularité et, par contrecoup, fait d’eux ce que chacun désire être. Car, outre leurs portées éducatives et didactiques certaines, leur présence à l’aube d’un éveil intellectuel reflète le souci d’opposer les principes d’individu, de sensibilité et de liberté à « l’unitarisme » socio-communautaire, jugé anarchique, fataliste et despotique. Désormais, l’appartenance à une communauté se doit de trouver un nouveau fondement qui, en tous cas, doit prendre en charge ces trois principes. Mais alors quelle communauté? Où doit-on chercher ce qui la définit? Est-ce dans la théologie, dans le droit moderne ou dans les principes philosophiques des Lumières?[50] Entre le réalisme qu’implique une reconnaissance théorique de la durée, de la mémoire et de la transmission (naql) et un volontarisme pratique qui se profile à l’arrière plan d’un projet d’éducation vivifié par l’image utopique d’un « Emile » ou d’un « Télémaque », la pensée de Tahtâwî semble osciller et se contredire.
2. Adib Ishaq et le ciel de liberté
Le problème posé par la définition de la communauté conduit à interpeller la pensée d’Adib Ishaq. Né à Damas en 1856 et formé suivant les normes d’une éducation réservée à l’élite chrétienne, Ishaq exerce précocement ses talents d’écrivain et mène sa vie de « libre penseur » au Caire et à Paris. Contraint au silence en Egypte, il la quitte en 1879 pour Paris où il séjourne pendant neuf mois. Il y il dirige la Revue Misr (Egypte) dont le premier numéro mentionne qu’elle est « Editée à Paris sous le ciel de la liberté pour enseigner ce qui est utile au pays des Arabes: liberté – Egalité – Fraternité ».[51] Ishaq s’éteint à Beyrouth à l’age 28 ans, renié par les commandants de « sa » communauté catholique.[52]
Dans ses écrits théoriques, les concepts de loi naturelle (Namûs tabî’î ), d’autonomie (istiqlâliya), de liberté (hûrriya), d’égalité (mûssawat) et de sociabilité (tanshia ijtimâ’iya) s’autoconstituent en un champ de savoir propre qu’il appelle « la science morale » (‘ilm al-akhlâq). Dans un texte succinct, « Examen de la preuve théorique et de la preuve réelle sur le rapport de la science politique à la science morale« , Ishaq développe l’idée que « la politique » ne peut pas être traitée comme une science positive et indépendante: le but de « la philosophie (hikma) étant la quête de la vérité et de la justice », c’est pourquoi « la pensée (al-fikr) s’égare dans les principes du gouvernement », puisque les origines historiques sont « inaccessibles » à une connaissance qui soit positive.[53] De plus, à supposer qu’une telle science soit possible, elle rapporterait une convention, c’est-à-dire une expérience hypostasiée en des principes desquels se sont engendrées des conséquences et ne dit donc pas si ces principes sont bons ou mauvais. La convention originelle « serait sujette à l’erreur et à l’injustice ».[54] Certes, Ishaq entend par gouvernement « un être qui forme un tout »; mais qui n’est un tout qu’en tant que « corps composé » de volontés particulières. L’unité juridico-idéale n’obnubile pas la pluralité. Sous le rapport de la volonté, le gouvernement ne se présente donc pas comme « une machine dont les parties sont connaissables »,[55] c’est-à-dire comme un objet susceptible d’être positivement connu. « L’acte de juger donc de l’essence du gouvernement véritable doit être fondé sur le rapport qu’il entretient avec le devoir de justice et les exigences de la vertu, c’est-à-dire la science morale ».[56] C’est que la politique implique des droits et des devoirs qui ne peuvent être valides qu’au point de vue de la fin morale: le devoir-être.[57]
Soumettre la politique à une science morale, c’est la séparer de la religion. Ishaq exprime cette idée à maintes reprises de manière ou explicite ou implicite. C’est que pour lui, hormis l’idée d’un Etre suprême transcendant ou d’une divinité sage mais indéterminable et dirait-on en repos, la révélation en tant que source de législation politique disparaît de ses références: « les prescriptions des lois naturelles qui s’appliquent au genre humain sont indépendantes et séparées de toute loi religieuse et de toute politique civile (…) Ce sont ces prescriptions naturelles sacrées qui lient très fortement l’homme à son soi; d’où s’engendre le devoir de la conservation de soi duquel découle cette affection sentimentale appelée amour de soi ».[58] La problématique théologico-interprétative s’éclipse chez Ishaq. En cela il est solitaire en son temps et dans son univers arabe. Deux causes, l’une négative et l’autre positive, concourent à l’établissement de l’état civil. La première existence de l’homme étant son existence naturelle, c’est la précarité de sa constitution physique (cause négative) qui l’incite à user de sa puissance intelligente et à réunir ses forces avec celles des autres. L’amour de soi (cause positive), d’un égoïsme qu’il est se meut en altruisme et devient générateur de sociabilité. La naissance de la société ne doit rien ni à la religion, ni même à une morale positive constituée, mais au statut ontologique de l’homme. Or ce statut dit comment l’homme vient à l’existence morale. Il ne dévoile ni sa qualité distinctive ni encore sa destinée propre.[59]
Pour Ishaq, la liberté est ce par quoi l’homme est homme. L’histoire des institutions fait de lui un être plus ou mois libre et par conséquent plus ou moins homme. La destinée de l’homme c’est de devenir libre. Le mal – ainsi relativisé et entendu dans son « adventicité »[60] – désigne l’ensemble des échecs successifs où se « dévoile« , quant au fond, la destinée problématique et tragique de la liberté humaine. Un auteur comme Montesquieu, « définit » la liberté en la conditionnant par un « déterminant » (had) externe: les lois. Une telle détermination signifie, juge Ishaq, « l’abandon par l’homme de son statut d’homme […] comme si le but de l’association humaine est que l’homme ne soit pas homme ».[61] C’est pourquoi, en dépit d’un esprit des lois, « la liberté est en tout lieu étrangère ».[62] Néanmoins, les « illusions » qui couvrent les différentes définitions « n’entravent pas l’apparition de la lumière de la liberté à travers les travestissements des discours. L’évidence montre que la liberté est une propriété naturelle qui existe afin que l’homme développe par elle ses forces physiques et intellectuelles en s’élevant progressivement dans les degrés de la perfection de l’existence ».[63] C’est que la sagesse divine veut que l’homme soit libre. Or la liberté implique le choix. Le mal qu’implique le choix n’est pas une négation manichéenne du Bien. L’existence n’enveloppe le Bien qu’autant qu’elle enveloppe la Liberté.[64] L’idée de perfection n’est non contradictoire qu’autant qu’elle s’inscrit dans le sphère d’une action qui affronte le problème du choix comme condition de la liberté. Certes, l’histoire est aussi le lieu où se réalise une Idée cachée de la nature, celui d’atteindre le stade d’une constitution parfaite. Mais c’est l’homme libre qui est seul responsable du mal.[65] Dans un sobre et remarquable écrit, Ishaq condamne le suicide comme détermination négativement extrême de la liberté, car il rétablit l’illusion d’un mal absolu, soustrait l’homme à la « bonté foncière » de l’existence et remet en cause le sens de sa destinée.[66] C’est pourquoi, la solution du problème du mal est d’ordre pratique. Ishaq se représente l’histoire selon une vision téléologique du progrès: l’Idée se manifeste dans des figures différentes qui s’engendrent les unes des autres et se succèdent les unes aux autres, des moins aux plus puissantes, en poursuivant un même but: instaurer une communauté cosmopolite parfaite de paix et de bonheur.[67]C’est par un tel raisonnement que le problème de la théodicée est liée, chez Ishaq, à la pratique.
Or cette problématique rappelle dans son ensemble la théodicée de l’Emile, oeuvre qui laisse conjointement au Contrat social une empreinte permanente sur la pensée d’Ishaq. L’écrivain arabe cite Rousseau et se réfère à ses écrits. Et, c’est lors d’une première méditation sur la morale et la politique qu’il évoque Rousseau : « S’est-il écoulé un temps où les hommes n’y ont pas vu apparaître parmi eux un individu de grand talent et de grand esprit qui recherche les vérités de la politique de derrière les rideaux de solitude, et les règles de la morale de derrières les voiles du secret (khafâ’)…; ainsi, l’écrivain français Rousseau composa le Contrat social sur le droit politique et, quand il soupçonna l’objection de ses contemporains, répliqua: on me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la politique. Je réponds que non, et c’est pour cela que j’écris sur la politique. Si j’étais prince ou législateur, je ne perdrais pas [le] temps à dire ce qu’il faut faire; je le ferais, ou je me tairais« .[68]
Ishaq commente ce passage du Contrat social dans les termes suivants: « c’est là une parole qui traduit une bonne opinion sur soi-même qui, si elle est admise de quelqu’un comme Rousseau, elle ne l’est pas du commun des hommes; c’est pourquoi nous ne le prenons pas comme preuve du bien fondé de notre examen de cette question. Néanmoins notre preuve est qu’il n’est pas obligatoire pour celui qui enquête sur les dispositions et les lois politiques d’être un prince, un législateur ou un ministre tout comme il n’est pas obligatoire pour un historien critique de présider à chaque fait ou être présent dans chaque événement […]. Il est des droits naturels de l’homme et surtout de ses devoirs d’examiner ce qui le touche en propre, de même que les choses d’ici-bas et les situations sociales qui l’environnent. Si l’homme est autorisé à étudier les secrets de l’existence et à explorer les lois de la nature alors qu’il ne peut rien changer à son ordre […], comment lui interdire d’examiner l’ordre dont il fait partie et les dispositions positivement établies par les hommes? ».[69]
Aux yeux d’Ishaq, c’est l’amour de soi qui porte donc l’homme vers un amour plus grand: l’altruisme. D’où que – sous un rapport politique – la patrie est le réceptacle de l’homme moral. L’amour de la patrie occupe un statut médian entre d’une part l’amour de soi (anâniya), l’amour conjugal (hûb ou ‘ichq) et l’amour paternel (hûnûw) ou filial (birr) et, d’autre part, l’amour générique (ithâr ou hûb naw’i); la langue arabe permettant ainsi une diversification de vocables suivant et l’objet et la nature de la relation amoureuse[70]. Ishaq substitue la notion de communauté patriotique (jami’a wataniya] à celle de communauté religieuse, de confession ou de milla (cette dernière étant propre à la terminologie musulmane). Cependant, ou il passe sous silence l’idée rousseauiste de contrat ou il la critique. En quête d’une positivité politique qui soit propre à la communauté orientale mais qui ne doit pas l’opposer à l’universalité moderne, Ishaq – comme aussi l’ensemble de la pensée démocratico-séculière qui lui est contemporaine – adhère difficilement à la thèse rousseauiste d’un contrat. A cela il y aurait quatre raisons: 1°) Une telle thèse – surtout mal interprétée – entraînerait une opposition entre patriotisme et humanisme cosmopolite: l’état de paix n’est garantie qu’au sein de la communauté de contrat. Sous certaines conditions, l’état de guerre se perpétuerait entre deux communautés différentes. 2°) Le volontarisme juridique qu’implique l’idée de contrat adhère mal avec les idées conflictualistes de la seconde moitié du 19è siècle. 3°) L’idée de contrat renferme une contradiction: le contrat qui doit fonder le Tout présuppose l’existence de ce Tout sans quoi il ne peut être établi. 4°) Le contrat aliène l’inaliénable: la liberté et, par conséquent, l’homme. « Rousseau » – écrit Ishaq – « limite la liberté par la volonté générale et tombe, ainsi, dans le piège de la servitude qu’il dénonce »[71]. Ishaq étend cette critique au statut d’infériorité civile qu’accorde l’Emile à la femme. Son attitude est fort singulière en son époque et mérite une méditation que l’on ne peut entreprendre ici.[72]
Ishaq critique, de manière franche et avertie, les théories contractualistes et affirme que la liberté naturelle ne s’échange même pas contre les avantages qu’acquiert l’individu dans l’association civile et patriotique: c’est que dans la plupart des conventions, l’échange est foncièrement inégal: « les limites de la puissance sont celles du gouvernement qui, d’un côté, acquiert ce qu’il retranche à la liberté et, d’un autre, possède la sécurité qu’il envisage assurer. Ainsi [l’homme civil] quitte la liberté sans garantie. Or la patrie où [l’homme civil] est privé d’autonomie est invalide; car cet homme ne peut, au point de vue du droit, cesser d’être libre ».[73] Toute communauté où l’homme aliène son autonomie originelle en contrepartie d’une conservation de soi ou d’une moralité, même en engageant sa volonté et sa responsabilité propres, s’inscrit en vérité contre l’essence de l’homme; l’essence de l’homme étant son origine et sa fin: son existence naturelle étant ce par quoi il est ce qu’il est et ce qu’il doit être.[74]
Ishaq distingue entre concept de patrie et concept de nation. Il entend par patrie un territoire où vit et travaille l’homme. C’est pourquoi ce qui unit l’homme à la patrie est l’affection amoureuse. On dit surtout « j’aime ma patrie » (watany ). L’adjectif possessif qui se présente dans la langue arabe comme un complément du nom faisant corps avec le nom qui reçoit le complément, connote implicitement une relation de soi à soi: dans la langue arabe, écrit Ishaq, « c’est le ya de la relation dans l’expression « watany » qui est la cause de mon amour pour watany [ma patrie] ».[75] Or la nation n’est ni un individu ni une espèce naturelle. Elle est une union artificielle d’hommes qui ont une même nationalité, autrement dit un même gouvernement et une même loi. L’amour n’est donc pas nécessairement constitutif de la relation entre l’individu et la nation.[76] Toutefois, Ishaq ne prend pas en compte la langue dans ce qui définit une nation.[77] Cette attitude peut surprendre chez un penseur arabe. L’exclusion théorique de la langue traduit-elle le souci pratique de ménager l’unité politique en crise, surtout quant on sait la fidélité d’Ishaq pour l’Etat ottoman? En tout cas, quel que soit le cadre géopolitique où une nation se définirait, sa vertu est désormais la démocratie directe et son existence est en fonction de la légalité du corps politique. Expression de la volonté des individus qui le composent, le corps politique doit préserver leurs libertés et sensibilités premières. Sur ce point, Ishaq semble suivre Rousseau: « la volonté, écrit-il, n’admet pas la représentativité (ou mandat = wikala) , car ou elle est ce qu’elle est ou elle est un autre; point de milieu (ou médiation = wasat) entre les deux termes ».[78] Ishaq critique la démocratie représentative parce qu’elle aliène l’inaliénable et d’un moyen d’émancipation devient un moyen d’assujettissement: illusoire, la démocratie parlementaire est « un non-être sous la forme d’un être » (ma’dûm fi sûrat mawjûd).[79]
L’éducation est centrale dans la pensée d’Ishaq. Il croit aux lumières de la raison. L’idée de Progrès est contraire aux ruptures violentes. La violence n’élimine un mal que pour lui substituer un autre. Seule l’éducation est capable de susciter « une révolution dans les esprits » (thawrat al-anfus).[80] Ishaq reprend des thèses essentielles de l’Emile. Il s’élève contre « l’éducation religieuse parce qu’elle est contraire à l’éducation civique et patriotique et est attachée à l’idolâtrie du factice et du passé ». Certes Rousseau a raison de s’en prendre aux langes qui serrent les corps des enfants et les violentent; mais les pires des langes et des violences, ajoute Ishaq, sont les « illusions » et les « superstitions » « qui enrubannent les esprits ».[81] Durée, mémoire et transmission composent une trinité contraire à la liberté. Les conformistes, écrit Ishaq, « éduquent l’enfant comme ils font pour battre l’argent. C’est qu’ils veulent que toutes les pièces soient identiques et uniformes, et n’acceptent aucune qui soit différemment ciselée […]. Ils font de son esprit innocent et simple comme ils font pour pétrir la cire afin d’y imprimer les sceaux de leur enseignement […]. Une telle éducation achève la servitude de l’homme et ruine la liberté en lui ».[82] A l’opposé, la raison naturelle se doit de développer chez l’individu le sens de liberté et d’autonomie. Comment, donc, assurer dans une communauté unique la concorde entre des sujets autonomes? C’est une éducation qui soit respectueuses des inclinations naturelles de l’âme, pense Ishaq, qui consolide les liens de sociabilité naturelle en cultivant les vertus civiques.
Néanmoins, la loi – souligne Ishaq – demeurerait une extériorité coercitive et méconnaissable et, par conséquent, impuissante si elle n’était pas secondée par le sentiment intérieur, de type rousseauiste: « le courage dans l’âme et la loi patriotique dans les fins fonds de nous-mêmes(…) la liberté est la condition de l’intériorisation de la loi (istibtân al-haq) ».[83] De la conjonction entre l’endogène et l’exogène naît une symbiose entre la volonté particulière et les droits de tous, entre droits et devoirs: « la loi doit être régulatrice de la liberté, et ne lui est nullement abrogeante ou métamorphisante « .[84] L’acte d’intérioriser renforce chez l’homme son sentiment de devoir, rend infime la limite qui sépare les droits et les devoirs et instaure le principe philosophique (hikma) de justice (‘adl): « N’agis avec les autres que comme tu veux qu’ils agissent avec toi ».[85] A ce stade de moralité supérieure, agir moralement c’est agir non pas selon une obligation instituée mais par devoir; le devoir véritable étant accompli par un être autonome « sous un ciel de liberté ». Eu égard à ce sentiment de devoir, doit-on connaître Kant quand on connaît au moins Jean-Jacques Rousseau?
Ishaq réfute les représentations de la transmission religieuse, qualifiées « d’illusions » liées à l’état de servitude, et qui, en attribuant la primauté au tout sur les parties, prédéfinissent l’individu, prédéterminent son statut et constituent autant d’entraves à sa liberté et à la prise en charge de soi. A la place de ces représentations, se substituent des cercles concentriques en s’autoconstituant à partir de l’individu, où l’on reconnaît les différentes figures de son appartenance multiple: son soi, sa famille, sa patrie et son humanité. Au-dessus de toutes, l’amour générique enveloppe le tout. Un univers humain présidé par l’affection amoureuse est à instaurer sur le principe d’une désappropriation du monde: « le monde, appartenant à tous, n’appartient à personne en propre. Tous les hommes en jouissent également »[86].
3. Le pèlerin romantique de Chambéry: Farah Antone
En dépit d’une sociabilité à plusieurs sphères et équitable, Ishaq reste sobre quand il traite des droits et devoirs de l’homme. C’est que – d’abord au niveau étroit de l’individu – l’amour de soi est corollaire du devoir de la conservation de soi. Ensuite au niveau du genre, l’amour générique est guidé par « la puissance intelligente ».[87] Il s’agit donc d’un amour actualisé par des déterminants externes à la subjectivité. C’est plutôt le Rousseau philosophe et éducateur, celui du Contrat social et de l’Emile qui influence Ishaq.
Autre est le Rousseau de Farah Antone. On trouve dans les écrits de ce dernier – outre l’empreinte de l’Emile – celle des deux Discours et surtout la sensibilité romantique et foisonnante des Confessions; empreinte, parfois affaiblie, parfois renforcée, par des lectures diverses aussi bien dans la littérature et la philosophie européenne, notamment française, que dans des sources philosophiques arabes, notamment Averroès.[88] Si Ishaq appelle Rousseau de son nom, Antone l’appelle aussi de son prénom.
Farah Antone est né en 1874 dans un milieu de chrétiens orthodoxes. Ami au départ du réformateur musulman Rachid Ridha, son « sécularisme » ne tardera pas à le séparer de ce dernier à jamais. En 1899 il fonde la revue Al-Jâmi’a, un des trois piliers du renouveau intellectuel: « al-moqtataf pour les sciences, al-hilâl pour l’histoire et la civilisation et Al-Jâmi’a pour la littérature et la culture générale ».[89] Antone rédige la plupart de ses articles théoriques et la dirige jusqu’à l’année 1910. Il écrit surtout dans la politique, le roman et sur la philosophie et les philosophes. Mentionnons au passage qu’il cite dans un article daté de 1902 – mais que de titre – le Discours de la méthode de Descartes et la Critique de la raison pure de Kant dans une tournure de phrase qui donnerait lieu à des suppositions, certes hasardeuses, quant à la connaissance qu’il a de ses deux oeuvres majeures de la philosophie moderne.[90]Ce qui est certain, c’est qu’Antone a lu attentivement, au moins à partir de 1904, des ouvrages de Nietzsche et qu’il est le premier à traduire en arabe des fragments de Ainsi parlait Zarathoustra.[91]
Suite à une lecture attentive de Renan, il réinterprète Averroès dans le sens d’une compréhension moderne de sa philosophie. Un débat profond et une polémique vive l’opposent à son ancien ami Rachid Ridha autour de quatre questions étroitement liées par le contexte: Averroès, l’Islam, le Christianisme et l’union politique islamique. Or on sait que c’est l’Imam et le Muphti d’Egypte, le célèbre Mohammed Abduh, qui incite Ridha à répliquer le premier à Antone.[92]
Dès son premier numéro (15 mars 1899) et durant deux ans environ, Al-Jâmi’a arbore en première page la formule suivante, suivie du nom de Rousseau (nous retraduisons de l’arabe): « les hommes sont ce que les femmes veulent qu’ils soient. Si vous voulez qu’ils soient grands et vertueux, enseignez aux femmes ce que sont la grandeur et la vertu. Rousseau ».[93] Cette « citation », présentée en guise d’aphorisme, est placée sous le titre de la revue, alignée à droite. A gauche, une citation tirée de Jules Simon sur l’école et l’éducation de la vertu. Dans le premier numéro d’Al-Jâmi’a, Antone énonce le programme de la revue: c’est le principe moral qui doit présider à une « Vraie réforme« . Ensuite, en un sous-titre: « l’Orient et l’Occident« , il énonce une problématique critique: l’universalité des valeurs philosophiques n’implique pas la sujétion politique. Le nom de Jules Simon est cité; l’allusion à Rousseau est claire. Au coeur du programme annoncé, figurent, étroitement solidaires, et la « réforme morale » et « le développement des connaissances ». Les vertus politiques et sociales exigent ce lien entre le théorique et le pratique. Aussi, quand la politique est séparée de la morale, la société se corrompt et ses fondements se dissolvent. La réforme du corps politique doit être précédée par une éducation des vertus morales. Une morale civile respectueuse des prescriptions de la nature, se doit de ne pas corrompre le don de la nature: il est du droit et du devoir de l’homme d’être heureux; si seulement – ajoute Antone – « le bonheur et la salubrité étaient possibles sur ce globe ».[94]
A l’instar de l’Emile, la fin de l’éducation est d’éveiller l’épanouissement du fond naturel de l’homme, tout comme on veille sur la poussée d’une plante, ou une mère qui allaite son enfant.[95] Néanmoins, cet article contient un passage troublant: Antone y émet des réserves à l’égard de la démocratie représentative. Certes, il argumente son attitude: l’établissement des institutions représentatives présuppose une éducation des qualités sociales et des vertus morales. Mais, il insiste sur le fait que la « liberté » des « associations » et des « assemblées » est un moyen de « corruption », « d’inégalité », de « puissance » et de « division ». s’agit-il ici d’une attitude circonstancielle qui chercherait – surtout dans un premier numéro de la revue – à rassurer le pouvoir politique ou d’une conviction qui aurait une source dans le Contrat social de Rousseau?[96]
Au second numéro, Antone rédige un article pamphlétaire: « L’homme et les effets du luxe sur lui[97]« . Bien que lecteur d’Auguste comte avec qui il se dit en accord pour l’essentiel, Antone s’inspire des deux Discours de Rousseau, notamment le Discours sur les sciences et les arts et repose presque dans ses lettres la question de l’Académie de Dijon de 1750,[98] en des formules variées: « Nous sommes ici en face d’une des plus importantes questions philosophiques et sociales: si le luxe concourt au repos de l’homme ou à sa peine?[…]. Si les éclats du progrès et ses éblouissantes inventions ont rétabli ou corrompu les moeurs? ».[99] La réflexion d’Antone témoigne aussi d’une lecture du discours sur l’origine de l’inégalité. « L’homme de la nature », écrit-il, mène une vie » paisible et salubre » et pourvoit aisément au nécessaire immédiat de son existence. Le bon sauvage « ne s’inquiète pas pour son lendemain ». C’est la faiblesse de sa constitution physique et le concourt d’événements fortuits qui le conduisent à l’état d’union sociale. De même, le Contrat social. établit – dans un passage sur l’Islam – un rapport entre le luxe et l’amollissement des moeurs. Rousseau y applique sa théorie critique du progrès: le luxe a conduit les « Arabes » à un état d’amollissement et, par conséquent, à un état d’assujettissement politique qui reproduit la division chrétienne entre les « deux puissances », la spirituelle et la politique ».[100]
Antone suit Rousseau dans certaines tournures dialectiques en reprenant un concept clef de sa philosophie, la perfectibilité, qu’il traduit fidèlement par une longue expression arabe.[101] Dans un article, « Droits de l’Homme », il mentionne le nom de Rousseau et cite des passages de la Première partie du Discours sur l’inégalité qui décrivent l’homme de la nature: « Je le vois se rassasiant sous un chêne, désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied du premier arbre qui lui a fourni son repas; et voilà ses besoins satisfaits [etc.] ».[102] « Ce premier état », commente Antone, « serait, sans doute, le plus doux et le plus salubre si les peintures faites de lui par les descripteurs étaient vraies. Parmi ces grands descripteurs, il y a le célèbre Jean-Jacques Rousseau ».[103] L’homme qui vit dans « les bras de la nature » et ne soucie que d’une « subsistance » acquise « tranquillement » et « sans fatigue », ne « connaît ni le bien ni le mal ».[104] Certes la civilisation a évacué l’état de nature; mais le concept de perfectibilité permet de récupérer le refoulé – le fond naturel – et de le concevoir dans un développement, en un sens spontané,[105] de l’histoire future de l’humanité: l’état de nature est aussi de l’ordre du devoir-être: « Cet ordre – écrit Antone – est actuellement inexistant dans le monde[…]; les plus justes et les meilleurs des gouvernements [possibles] sont ceux qui soient les plus proches de cet état. Cependant, il est de bon sort que le monde se dirige promptement vers cet état. C’est ce sens là qu’on veut désigner par perfectibilité« .[106] Mais à la différence de Rousseau, Antone écrit un siècle après la Révolution française. Son article de 1902 s’achève par une traduction de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Un détail significatif: Farah Antone souligne, à deux reprises, que cette « Déclaration » fait corps commun avec son propre exposé. On peut se demander s’il existe un lien quelconque entre la théorie (Rousseau) et l’événement (1789). C’est que pour Antone « La déclaration des droits de l’homme » « a élevé le monde d’un grade » sur « l’échelle de la perfection ».[107]
Ajoutons, pour finir sur ce point, que le concept de perfectibilité permet à Antone d’adhérer à des valeurs rousseauistes sans renier « le progressisme » de sa propre époque. La réconciliation est possible d’autant que le scientisme du 19è siècle finissant est recouvert de foi, et le saint-simonisme est influent en Egypte, là où la pensée d’Antone évolue. Ainsi la valeur morale du progrès préoccupe-t-elle Antone dans l’ensemble de ses écrits. Et encore une fois on retrouve, semble-t-il, l’Académie de Dijon[108] et le Second Discours de Rousseau suggérer à Antone d’ouvrir dans les pages d’Al-Jâmi’a un débat sur « le problème scientifique et philosophique » que pose « l’inégalité et l’égalité parmi les hommes ». Des écrivains dont Nicolas Haddad y participent.[109]
Outre Rousseau et Jules Simon, Antone a lu surtout pour Fontenelle, Diderot, Bernardin de Sain-Pierre, Madame de Staël, Chateaubriand, Tolstoï, Renan, mais aussi Voltaire, Buffon et Auguste Comte, pour ne citer que quelques modernes. C’est le « grand Antone » « le grand écrivain » – répète souvent Salâma Mûsa – « qui a, le premier, ouvert devant nous les larges horizons de la littérature occidentale, notamment la littérature romantique ». C’est lui qui « à Al-Mawardi,[110] a substitué en moi Jean-Jacques Rousseau ».[111] Salâma Mûsa distingue, non sans schématiser, deux principales tendances dans la pensée universelle, celle de Sade et celle de Rousseau: « dites moi êtes-vous du coté de l’individualisme égocentrique de Sade ou du coté de la sociabilité de Rousseau? « .[112] « Si les arabes – juge-t-il encore – avaient traduit les Confessions de Rousseau depuis cent ou cent cinquante ans, l’état de la littérature et de la pensée arabe serait tout autre ».[113]
La prédilection d’Antone pour les sources modernes de la pensée occidentale est accompagnée chez lui par un retour, certes moins vif, à des sources intellectuelles arabes (divers articles sur des penseurs arabes dont Ibn Hazm, et un ouvrage sur la philosophie d’Averroès). C’est que, à ses yeux, croire « imiter » l’autre dans les effets visibles de sa trajectoire dans l’histoire, c’est ne rien changer dans l’intérieur de son soi. D’où l’obligation d’un retour aux fondements. Ainsi, coexistent dans l’esprit d’Antone et Rousseau et Averroès. Chez le premier il découvre une philosophie du sentiment. Chez le second il entrevoit, suite à Renan, une interprétation de la prophétie comme une sorte de philosophie. Y a-t-il dans ces différentes réconciliations une tentative humaniste? Antone écrit: « Si le calife Al-Mamûn vivait en ce temps-ci, il se serait sans doute moqué de notre paresse et de notre renonciation à puiser les trésors des connaissances européennes, à l’instar de son époque et sous sa commande lorsqu’on puisait dans les trésors des connaissances grecques(…). Possédons-nous la belle oeuvre littéraire d’Al-Ghazali, Lettre au disciple? Avons-nous publié la « Méthode » de Descartes, traduit quelque chose de Comte, édité « les Misérables« , traduit la critique de la raison pure de kant, publié Paul et Virginie, traduit l’Emile et le Contrat social, résumé Spencer?[…]. Est-ce que le nom de Bacon est cité en langue arabe ailleurs que dans al-moqtataf et Al-Jâmi’a [etc.]? Avons-nous traduit les ouvrages du divin Platon? [etc.] ».[114]
Curieusement, seuls les ouvrages de Rousseau, de Bernardin de Saint-Pierre (dont deux ouvrages sont traduits par Antone) et de Victor Hugo (auquel Antone consacre un long exposé)[115] ne sont pas accompagnés du nom de leurs auteurs. Tous les trois participent, à des degrés divers, de la sensibilité romantique, au sens large du terme. Sont-ils connus du public d’Al-Jâmi’a? Est-ce par inattention que leurs noms sont omis? Ou s’agit-il d’un « oubli » qui serait relatif à un phénomène d’identification sourde? Il n’est pas aisé de répondre à une telle question. Dans le cas contraire, la réponse ne mènerait pas loin. Cependant, afin de mieux cerner la pensée d’Antone, il serait préférable d’évoquer l’homme. C’est par le truchement d’une situation biographico-littéraire qui est – selon les propres termes d’Antone – « l’événement le plus important de ma vie »[116] que la sensibilité romantique, de type rousseauiste, se manifeste sous l’éclat de l’expression et que l’identification se révèle comme étant un partage du sens:
Quant Antone sort perdant des controverses publiques qui lui sont imposées par Rachid Ridha et Mohammed Abduh, et à l’origine de laquelle se trouve son livre sur Averroès et sa philosophie, il décide de s’exiler en Amérique. A Paris en 1906, alors qu’il prend le chemin du Havre d’où il doit s’embarquer vers l’Amérique, il se souvient d’un serment qu’il s’est fait à lui même quinze ans auparavant[117]:
« Rendre visite à la maison où Rousseau vécut à Chambéry. Tolstoï voulait porter un portrait de Rousseau à la place de la croix; moi, quand j’ai lu les Confessions […] et y ai lu les descriptions de la petite ville de Chambéry […] dites avec une éloquence de muses, mon âme s’est mû emportée par un ardent désir vers cette vallée et ce verger décrits par l’auteur, et je me suis dit: la première fois que mes pieds toucheront le sol de la France, je me dirigerai sans doute vers Chambéry (…) là ou l’âme de Rousseau s’est éveillée et son esprit s’est formé loin des hommes, de manière toute neuve telle qu’elle apparaîtra plus tard dans ses livres qui ont changé la face du monde […] »
» […]. Dès que mes pieds touchèrent le sol de Chambéry, la fièvre de Jean-Jacques s’empara de moi. Je me dit: demain j’irai voir la maison ou vécut Jean-Jacques, m’étendre sous les mêmes arbres et marcher sur le même sol! […]. Au seuil de la maison un frisson parcourut mon corps: « Jean-Jacques! Jean-Jacques! le voici un individu, parmi mille ou peut-être un million, mais à qui tes principes portent préjudice; il est venu se plaindre à toi des préjudices que toi-même lui fait subir […]; je suis venu à toi avec mes ennuis et ma fatigue; fatigué d’une tâche qui n’engendre que la persécution et l’agression pour celui qui, avec une bonne intention, la prend en charge[…] ».
« Quand je finis de visiter la maison, je demandai le « registre des lieux » pour y lire les noms des visiteurs et leurs expressions […]; j’y trouvai la signature d’Anatole France le plus célèbre des écrivains français d’aujourd’hui (…) Et mes yeux tombèrent sur deux signatures en arabe. Quand je souris à leur lecture, la gardienne du lieu me demanda alors: – est-ce que monsieur comprend cette écriture chinoise? – . Je ris et ne répondis pas ».[118]
Après cette visite, brièvement relatée ici et qui s’achève par une altérité à sens unique, Farah Antone décide de passer encore quatre jours à Chambéry pour y relire, pour la deuxième fois, ce que Rousseau a écrit sur soi-même.
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Certes, l’oeuvre de Tahtâwî manque d’organisation et de cohérence. C’est qu’à peine achève-t-il la lecture d’une oeuvre étrangère qu’il sent l’impérieuse nécessité de la traduire, la résumer ou l’adapter. D’où la faible teneur théorique dans les volumes qu’il a légués à la postérité. Seulement, comme par contrecoup, Tahtâwî désarme sa postérité: il ne prétend pas à l’édification d’une théorie systématique. Surtout doctrinaire, sa pensée revêt un aspect plutôt syncrétique qu’éclectique. Or l’éclectisme, ne relèverait-il pas de la méthode tandis que le syncrétisme relèverait de la conscience? Le syncrétisme ne va-t-il pas de paire avec la synchronisation qu’implique le concept arabe de mû’âssara (contemporanéité): Ghazali « contemporain » de Descartes, Ibn Khaldûn de Montesquieu et, en bref, al-tûrath (patrimoine) de la modernité?
Quant à Adib Ishaq – dont la vie est écourtée par la maladie – les quelques développements qu’il entreprend sur le corps politique, témoignent d’une capacité précoce d’abstractions théoriques et d’un effort critique demeuré inachevé. Certains de ses écrits sont perdus, certains de ses manuscrits sont pillés le jour de sa mort. Mais ses essais montrent les profondes transformations qu’il impose à la langue arabe pour qu’elle réponde aux exigences de la pensée européenne moderne. Sa lecture du Contrat social n’est ni partielle ni éclectique. Il adopte sa problématique de l’homme et du citoyen et critique certains de ses aspects.
Enfin, Farah Antone. On peut suggérer l’image de deux Antone: le publiciste de la revue Al-Jâmi’a d’un côté et le penseur et romancier de l’autre. Le premier – secondé par sa soeur Rosa Antone et par quelques amis dont Nicolas Haddad – entreprend un projet d’éducation globale dont le but est de former une « opinion publique instruite » et où diverses questions relatives à la littérature et la philosophie, mais aussi à l’histoire, la médecine et les sciences, sont traitées. Le second Antone – interpellé par cette étude – est celui des écrits théoriques et des oeuvres romanesques. Une même intention traverse ses écrits théorico-politiques: légitimer le projet de liberté égalitaire et séculière. Ses oeuvres romanesques traduisent, par des allégories, cette même intention, versent sensiblement dans l’utopie aussi bien par leur forme que par leur contenu et font écho à la contestation existentielle d’un Rousseau et au préromantisme d’un Bernardin de Saint-Pierre. Antone est-il inéluctablement un éclectique même quand il témoigne dans son rapport à Rousseau d’une communion avec l’homme et d’une prédilection pour l’oeuvre?
Ainsi, il est vrai, en un sens, que l’idéologie arabe contemporaine reprend – non sans illusion rétrospective – le cheminement de la conscience occidentale elle-même. Et aux lieux des continuités et des ruptures propres à une temporalité objectivement autre, cette conscience substitue une autre temporalité avec ses propres continuités et ruptures. Aussi des doctrines irréconciliables en Occident (Ghazali et Descartes ; Rousseau et Nietzsche ; Ibn Rochd et Kant ; Ibn Khaldun et Montesquieu ; ou encore Montesquieu et Marx, par exemple), trouvent-elles ailleurs le moyen de la réconciliation. Comment expliquer ce phénomène de la réception? Est-ce par une lacune logico-théorique? Est-ce par une raison pratique, voire une raison pragmatique « impure »? En tout cas, Rousseau côtoie à l’aube de ce projet intellectuel arabe des hommes de sa propre culture qu’il n’aurait pas souhaité rencontrer! C’est que « l’éclectisme » intellectuel pourrait bien faire bon ménage avec le volontarisme pédagogique et politique de la « renaissance » arabe. Cependant, l’éclectisme n’est qu’un des traits de ce premier mouvement des idées. Il nous reste maintenant d’évaluer cette question posée au départ de cette réflexion.
Les critiques – le cas de Laroui – et les historiens arabes des idées n’échappent pas toujours au piège qu’ils dénoncent: l’éclectisme lui-même. Ainsi certaines nuances et distinctions disparaissent-elles du grand et télescopique paysage intellectuel dont ils veulent en rendre compte. Ne subsistent, dans l’idéologie arabe contemporaine, que trois grandes figures: « le clerc », « le politique libéral » et le « technophile ». « Derrière chacun de nos nouveaux prophètes – écrit Laroui – se profile un ange Gabriel qui lui souffle ses réponses et ses appels: Luther derrière Moh. Abduh, Montesquieu derrière Lotfy Sayyid et H. Spencer derrière S. Mûsa »[119]. Or, conclure que Spencer est derrière Salâma Mûsa ne cacherait-il pas la forte affinité qu’exprime Salâma Mûsa envers Jean-Jacques Rousseau?
Les grandes orientations étant déjà esquissées et définies – eu égard aux influences des Lumières sur la formation de la pensée arabe – ce sont les études de cas et de textes qui s’imposent aujourd’hui et qui auraient peut-être l’intérêt de nuancer le tableau proposé, en l’occurence, par Laroui. Car chez tel Ange Gabriel, telle manière d’être et d’exister et, par conséquent, chez tel adepte telle manière de rendre la présence de son ange effective. Ainsi, l’on pourrait peut-être se servir de Descartes ou de Voltaire comme l’on se sert d’un remède que l’on adapte à une situation, à un besoin. Cette démarche croit réactualiser celle que les penseurs arabes au Moyen Age ont, souvent, suivi à l’égard de la philosophie grecque.
Mais dans le cas de Rousseau – si l’on faisait abstraction du Contrat social – il faudrait soit s’y identifier (le cas de Farah Antone) soit le négliger. Bref, il y a d’un côté le romantisme d’un Farah Antone, chrétien de Syrie, qui participe à la mise en perspective d’un projet séculier, égalitaire et teinté d’un utopisme anthropologique. De l’autre, il y a « l’aristotélisme » de Lotfy Sayyid, musulman d’Egypte qui, dans un contexte politique spécifique, reprend la théorie libérale de la séparation des pouvoirs de Montesquieu.
C’est pourquoi, dans un autre sens, la thèse de l’éclectisme du même Laroui pourrait sinon être réfutée, du moins être nuancée: la prédilection arabe pour le XVIIIè siècle montre le contraire de cette thèse. Car les penseurs de la Nahdha auraient pu se contenter des doctrines occidentales « achevées » qui leur étaient contemporaines. Même dans la tourmente d’une réflexion sur l’action, ils ont pris conscience de la nécessité de faire dépendre les conséquences de leurs prémisses. Ils savaient que l’Occident qui leur était présent dépendait aussi d’un des moments cruciaux de son histoire: le XVIIIè siècle. Mais l’inquiétude devant l’écart et les exigences pratiques leur imposaient un mode d’expression dont ils venaient juste de découvrir l’existence – quatre siècles environ après Gutenberg! -: l’imprimerie et le journalisme. Or cette forme d’expression freine les constructions théoriques et, à la place d’une pensée systématique, elle favorise une présentation diffuse. Néanmoins, le défaut d’unité au point de vue de la présentation n’implique pas nécessairement un défaut au point de vue de l’unité de la pensée. Ce n’est pas par un manque de profondeur, mais par l’aspect rudimentaire de l’échafaudage conceptuel que s’expliqueraient les déficiences de la réflexion philosophique.
L’un des traits de cette « renaissance » ne consiste-t-il pas dans un primat de la raison pratique et dans un mode de pensée qui rejoindraient, par certains de leurs aspects, le XVIIIè siècle français, dans la mesure où une raison utilitaire ne vise pas en substance l’idéation mais la chose elle-même, c’est-à-dire son contenu?
S’il était difficile de parler – dans le cas de la « renaissance » arabe – d’une philosophie, au sens strict du terme, il serait encore moins légitime de la réduire à une idéologie éclectique. Ne serait-il pas moins inadéquat de parler, dans ce cas de figure, d’une crise et d’une pensée de la conscience, quand on voit surtout le volontarisme d’un moi qui prétend et à la conservation de soi et au pouvoir d’adopter et d’adapter la présence de l’autre? Une réponse par l’affirmative et par la généralistaion sera une induction mal à propos. Il n’en reste pas moins que la présence de Rousseau dans la pensée de nos trois auteurs pose, en tant que cas particulier, la découverte et la reconnaissance de l’autre par le moi dans les termes d’une conscience intelligente et inquiète. Quelque soit le degré de fidélité de cette image de Rousseau dans leurs écrits, elle témoigne d’un humanisme intellectuel sans complexes. C’est, surtout, dans un moment ultérieur qu’en face de cette conscience et dans les plis du soi, les ruses de l’histoire imposeront l’autre comme force concupiscente, possessive et de maîtrise. C’est alors que les discours du moi viennent à confondre raison et événement, droit et fait. La première image d’un Rousseau mêlé aux combats du Moi s’éclipse et ne demeure que le Rousseau des écoliers ou des spécialistes, à l’abri des tumultes de la vie et des événements publiques.
Ainsi, s’il était difficile de parler – dans le cas de la « renaissance » arabe – d’une philosophie, ou d’un système, au sens strict des termes, il serait encore moins légitime de la réduire à une idéologie éclectique. Ne serait-il pas plus adéquat de parler d’une crise de la conscience conservatrice[120], quand on voit surtout le volontarisme d’un moi qui prétend et à la conservation de soi et au pouvoir d’adopter et d’adapter la présence de l’autre ? A la place de l’éclectisme, ou du syncrétisme, ne vaudrait-il pas mieux parler de conservatisme arabo-musulman ? Car de deux choses l’une : ou bien on s’engage dans la modernité quitte à jeter ensuite les ponts avec les héritages de l’Islam, ou bien on se sert de la modernité comme thérapeutique pour guérir et sauver l’Islam. Le réformisme musulman, dans son mouvement d’ensemble, a opté et opte encore pour la seconde alternative. Autrement dit et pour dire les choses en gros, les différents modernismes et pseudo-réformismes ne chrechent guère la transforamation, la rupture et la révolution mais la conservation ; ce n’est pas la modernité dans et par ses causes qui est visée, mais le soi : ce n’est pas à la modernité de contenir l’Islam ; mais c’est à l’Islam de contenir la modernité.
[1] Abdallah Laroui, L’idéologie arabe contemporaine. Essai critique, Paris, Maspéro, 1977, p. 22. Il y est écrit: « Allal al-Fâsi n’a pas tort de rappeler à ce propos le mot de Michelet. Ce siècle sera toujours aimé pour de bonnes et de mauvaises raisons: parce qu’il fournit le gros des arguments contre l’Eglise et ses turpitudes et parce qu’il donne consistance à certains mythes. Le Roi-philosophe, décrit par tant d’utopistes, plusieurs parmi nous se sont mis à croire que c’était Al-Mamûn » .
[2] Jean Jacques Rousseau, Du Contrat social, préf. et notes par J.-L. Lecercle, Paris, Editions Sociales, 1971, p.199. Rousseau y écrit surtout: « Mahomet eut des vues très saines, il lia bien son système politique; et, tant que son gouvernement subsista sous les califes ses successeurs, ce gouvernement fut exactement un, et bon en cela […] ». Ce n’est que dans une étape ultérieure, juge Rousseau, que l’Islam reproduit la division chrétienne entre les « deux puissances », la spirituelle et la politique » . Cette question sera reprise plus loin.
[3] Rousseau, Ibid., p.204.
[4] Cf. Albert Hourani, Arabic Thought in the Liberal Age 1798-1939, London, 1962, [trad. française: La Pensée arabe et l’Occident ,Paris, Naufal, 1991]. – Hicham Charabi, Arab intellectuals and the West: the formative years 1875-1914, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1970, [trad. arabe, Beyrouth, Dar-al-Nahar, 1971]. -Abdallah Laroui, L’idéologie arabe contemporaine. Essai critique, Paris, Maspéro,1977. – Ra’if Khuri, al-fikr al-‘arabi al-hadith: athar al-thawra al firansiya...[La pensée arabe moderne: les influences de la Révolution française sur ses orientations politiques et sociales], Beyrouth, 1946. – Aziz Al-‘adhma, Al-‘ilmaniya min mandhûr muktalif [La laïcité d’un point de vue différent], Beyrouth, C.E.U.A, 1992.
[5] Le concept de « nation » a, sous la plume de Mohammed Amara, une démarche téléologique qui force les moments inférieures à énoncer des concepts ou des valeurs qui ne verront le jour que dans un moment supérieur, voir: 1°) Fajr al-yaqdha al-qawmiya [L’aube de l’éveil nationalitaire]; 2°) « Introduction: Etude sur la pensée de Tahtâwî… » (pp.7-241) et notamment la 2è Section: « Une vue profonde sur une civilisation moderne » (pp. 91-117), in Tahtawi, Al-‘amal al-kamila [Oeuvres Complètes], T.I, Beyrouth, al-Mo’asassa al-Arabiya li-Annach’r, 1973. – On décèle aussi chez Kamal Abdellatif une tendance à plier les textes à un apriorisme conceptuel peu signifiant dans Salâma Mûsa wa ichkâliyat al-nahdha [Salâma Mûsa et la problématique de la Renaissance], Beyrouth, al-Farabi, 1982. Plus récemment, M.- Ali Al-KABSI, entreprend une abstraction de textes auxquels il applique une « lecture » « heuristique » hantée par le spectre du « pouvoir » et de « légitimation du pouvoir » et qui voit dans la vaste littérature arabe, aussi bien ancienne (excepté le Message du Prophète) que moderne (du pamphlet philosophique au manifeste politique) la permanence du Même: le Pouvoir et son arsenal de légitimation comme noeud de forces supra-humaines, ou plutôt infra-humaines, indomptables. L’idée et son contraire, le Prince comme l’intellectuel solitaire et persécuté (Farah Antone par exemple) participent tous d’un même univers de crainte et de domination; cf. Fî al-nahdha wa al-hadâtha… [Sur la Renaissance et la modernité. Archéologie du concept d’écriture, d’Etat, de patriotisme et de légitimité…, Tunis, Ceres Production, 1994.
[6] Farah Antone, Al-Jâmi’a, [Revue], Alexandrie, New-York, Le Caire, 1902-1910 [Réédition en Fac-similé, Beyrouth, Dar Sadir, s.d] en 7 Vol.
[7] Sur les « contradictions » du « discours mûsaouiste » voir Kamal Abdellatif, op. cit., p. 108.
[8] Ce rapport est saisi par: 1°) Farah Antone (voir la 3è section de cette étude). 2°) Haykel qui met Rousseau côte à côte avec « Jésus, Mohammed, Raphaël et Shakespeare »; voir: Jean-Jacques Rousseau, Hayâtuh wa kutubuh [Jean-Jacques Rousseau, sa vie et ses oeuvres], Le Caire, Maktabat Al-nahdha al-misriya, 1960, p. 18, Ière éd. 1921. 3°) Salâma Mûsa qui insiste en plusieurs endroits de ses écrits sur le rapport homme / écrivain chez Rousseau et voit dans son oeuvre l’archétype moderne de « la créativité » (Ibtida’i) à l’opposé du « conformisme » voltairien (ittiba’i) ! Voir surtout ses deux ouvrages: –Tarbiyat Salâma Mûsa [L’éducation de Salâma Mûsa], Le Caire, Salâma Mûsa Edition, s.d., Ière éd. 1948, p. 56. – Al-adab li-acha’b (La littérature pour le peuple], Le Caire, Librairie Anglo-Egyptienne, 1956, chaps: « Le mouvement romantique… » , pp. 144-152, « La littérature de la confession », pp. 153-159.
[9] Mohammed Husseien Haykel, Jean-Jacques Rousseau… éd. cit.
[10] Il ne s’agit pas ici d’opposer deux Rousseau, l’un à l’autre; mais d’indiquer les deux grands traits qui se chevauchent dans son oeuvre. Nous adhérons à la thèse d’Ernst Cassirer sur l’unité de la pensée de Rousseau, magistralement développée depuis 1932 dans Le problème Jean-Jacques [Das Problem Jean-Jacques Rousseau], trad. par M. B. Launay, Préf. de J. Starobinski, Paris, Hachette, 1987.
[11] Salâma Mûsa, op. cit., p. 56.
[12] Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, trad. par Farah Antone, Al-Jâmi’a, éd. cit., vol. III, t. IX, Août 1902.
[13] Jean-Jacques Rousseau, Al-i’tirafat [Les confession], le Caire, Collection Kitabi, 1958-1960 (?).
[14]Jean-Jacques Rousseau, Asl al-tafawût… [Les origines et les fondements de l’inégalité parmi les hommes] trad. par Boulous Ghanem, Beyrouth, Commission Libanaise pour la Traduction des Chefs-d’oeuvre, 1972.
[15] Jean-Jacques Rousseau, Al-‘iqd al-ijtima’i [Le Contrat social], Beyrouth, Commission Libanaise pour la Traduction des Chefs-d’oeuvre, 1972.
[16] Jean-Jacques Rousseau, Al-i’tirafat [Les Confessions], Beyrouth, Commission Nationale pour la Traduction des Chefs-d’oeuvre, 1982.
[17]Jean-Jacques Rousseau, Hawâjis al-mutanazzih al-munfarid bi-nafsih [Les Rêveries d’un promeneur solitaire], trad. par Boulous Ghanem, Beyrouth, Commission Libanaise pour la Traduction des Chefs-d’oeuvre, 1983.
[18] Cette assertion ne vise ici que les traductions arabes de Rousseau. Les recherches arabes s’intéressent de près à la linguistique contemporaine. En plus, la traduction est en soi une acculturation linguistique.
[19] Jean-Jacques Rousseau, Muhâwala fi asl al-lughât [Essai sur l’origine des langues], trad. par Mohammed Mahjoub, Tunis, M.T.E, 1985.
[20] Albert Mansur, Qadar al-‘arab al-masahîyîn wa khiyârihim [Le destin des Arabes chrétiens et leur choix], Beyrouth, dar al-jadîd, 1995.
[21] Le terme de « renaissance » est discuté par les critiques (voir les ouvrages mentionnés ci-dessus dans la note n° 4). Outre l’appellation elle-même, la « renaissance » arabe pose des problèmes relatifs aussi bien à la périodisation qu’à ses « causes » et « origines » (internes/externes; Orient/Occident; Islam/modernité; etc.). Voir à ce propos Abû Yarub Al-marzûki, « Islâhât al-nahdha wa ‘alâqâtuha bi al-nadhariyat al-khaldûniya » [Les réformes de la renaissance et ses rapports avec les théories khaldûniennes], in Sh’oun Arabiyya, Tunis, Février 1983, n° 24, pp. 115-132.
[22] C’est là aussi le lieu d’un accord avec Al-Azmeh. Voir : Al ‘ilmanya min mandhour moukhtalif (La laïcité d’un point de vue différent), Beyrouth, Centre d’Etudes de l’Unité Arabe, 1992, p. 189
[23] Né à Damas en 1856 et formé suivant les normes d’une éducation réservée à l’élite chrétienne, Isaac exerce précocement ses talents d’écrivain et mène sa vie de «libre penseur» au Caire et à Paris. Contraint au silence en Egypte, il la quitte en 1879 pour Paris où il séjourne pendant neuf mois. Il y il dirige la Revue Misr (Egypte) dont le premier numéro mentionne qu’elle est «Editée à Paris sous le ciel de la liberté pour enseigner ce qui est utile au pays des Arabes : liberté – Egalité – Fraternité». Isaac s’éteint à Beyrouth, en 1884, à l’age 28 ans, renié par les commandants de «sa» communauté catholique.
[24] Tahtawi, » Talkhîs al-ibrîz… » [La purification de l’or dans [la connaissance] abrégée de Paris...], O.C., , t. II, éd. cit., p. 191.
[25] Tahtawi, ibid., p.191. Tahtâwî s’est intéressé aussi bien à la logique de Condillac qu’à la grammaire de Dumarsais. Il paraîtrait peut-être étonnant qu’un « stagiaire » arabe de l’époque consacre des moments précieux à l’étude de la grammaire traitée par un philosophe français, alors que sa propre langue n’a pas manqué de la développer comme une « science ». Justement, ce n’est pas seulement comme traducteur que Tahtawi s’intéresse à la grammaire française mais aussi et surtout comme critique et futur réformateur de la langue arabe.
[26] Anwar Abdel-Malek, Anthologie de la littérature arabe contemporaine, II: Les Essais, Paris, Seuil, 1965, « Un précurseur: Rifâ’ah Râfe’ El-Tahtâwî », p. 41.
[27] Tahtawi, « la purification de l’or… », op. cit., t. II, p. 191. Remarquons dans ce passage l’intérêt particulier porté pour la philosophie de Condillac et la qualification qui y distingue l’ouvrage de Rousseau.
[28] Tahtawi, « Al-murchid al-amin li-lbanât wa al-banîn » [le Messager fidèle pour l’éducation des filles et des garçons], O.C., éd. cit., t. II, p. 277.
[29] Tahtawi, Ibid., pp.277 et 385
[30] Tahtawi, Ibid., pp.277, 284 et sq.
[31] Tahtawi, Ibid., p. 292.
[32] Tahtawi, Ibid., pp. 282, 292 et sq.
[33] Tahtawi, Ibid., p.293.
[34] Tahtawi, Ibid., p.292.
[35] Tahtawi, Ibid., p. 426.
[36] Tahtawi, Ibid., pp. 356, 359 et sq., 369 et sq.
[37] Tahtawi, Ibid., pp.353 et sq.
[38] Tahtawi, Ibid., p.369.
[39] Tahtawi, Ibid., pp. 281, 284, 299 et 429-434.
[40] Tahtawi, Ibid., p. 476 et 477.
[41] Tahtawi, Ibid., p. 473-477.
[42] Albert Hourani, op. cit., p. 72-76.
[43] Anwar Abdel-Malek, op. cit., p. 42 et sq.
[44] Al-Kawakibi, qui reprendra dans son pamphlet sur le despotisme le principe rousseauiste de démocratie et surtout le réquisitoire de Vittorio Alfieri contre la tyrannie, continuera dans cette même lignée. Pour Al-Kawakibi, voir: Tabâi’ al-istibdâd [Les caractéristiques du despotisme], Beyrouth, dar al-nafâyis, 1984 . Pour Alfieri, voir: De la tyrannie, trad. de l’italien, Paris, Bibliothèque Nationale, 1865.
[45] Kheireddine, Aqwam al-masâlik li-ma’rifat al-mamâlik [La plus sure direction pour connaître l’état des nations], Edition critique et introd. par Moncef Chennoufi, Tunis, , M.T.E, 1986, p. 182.
[46] Cf. Aziz Al-‘adhma, op. cit., Chap. II, pp.75-140.
[47] tahtawi, « Le Messager fidèle… », op. cit., pp. 299, 311 et 478.
[48]Rousseau, Du contrat social, éd. cit., p. 206.
[49] le mot « façade » n’est pas de Rousseau mais de J.-L. Lecercle , ibid., p. 207 note 2.
[50] Sur ce plan, ni Rousseau ni Montesquieu ne peuvent guère être d’un grand secours. La notion de communauté n’a pas – dans la tradition française – un sens juridique précis. Quant aux concepts de patrie et de nation, ils y semblent se compléter en renvoyant souvent l’un à l’autre, et désignent un peuple juridiquement gouverné par une même loi, défini par un même Etat et vivant sur un même territoire. C’est ainsi que Napoléon, trouvant en face de lui le territoire de l’Egypte et ses habitants se présente aux Egyptiens comme un libérateur, prononce le mot « nation égyptienne » et exhorte la population à se libérer des Mamelouks.
[51] Adib Ishaq, Al-kitâbât al-siyâsiya wa al-ijtimâ’iya [Les écrits politiques et sociaux], Beyrouth, Attali’a, 2è éd., 1982, p. 15. Ishaq y écrit aussi que son but est de « dissiper le brouillard devant les yeux des naïfs (..) que mes compatriotes sachent qu’il ont un droit usurpé qu’ils doivent reconquérir et un bien pillé qu’ils doivent revendiquer ». C’est le seul moyen, précise-t-il ailleurs (pp. 56-65), pour mettre fin aux médisances de « ceux qui nous traient d’ignorance, d’imbécillité et d’étrangers au civisme politique (…) si l’amour de la patrie se perd, se perdent avec lui les doits et les devoirs de l’homme » .
[52] Dans un rapport daté du 6 septembre1884, le consul de France à Beyrouth qualifie Ishaq de « libre penseur », et précise qu’il est franc-maçon. Or, l’année même, Léo XIII condamne la franc-maçonnerie. L’office catholique inscrit le nom d’Ishaq sur une liste noire. Le jour de son enterrement, le prêtre refuse, d’abord, qu’Ishaq soit enterré comme catholique et exige de son père, ensuite, de signer une déclaration de foi chrétienne à la place du mort. Des incidents se produisent entre amis et adversaires d’Ishaq. La revue scientifique, Al-Moqtaf, et la revue jésuite, Al-Bachîr, s’affrontent à leur tour. Les adversaires d’Ishaq profitent des troubles, pénètrent dans son domicile et pillent ses écrits encore à l’état de manuscrits (cf. N. Allouch, « Introduction: Adib Ishaq. Sa vie et sa pensée », in Adib Ishaq, op. cit., pp. 19-20.
[53] Ishaq, ibid., p. 71.
[54] Ishaq, ibid., p. 71. Voir aussi pp. 84 et sq.
[55] Ishaq, ibid., p. 71.
[56] Ishaq, ibid., p. 71.
[57] Ishaq, ibid., Voir tout le développement sur cette question, pp. 61-78 et pp. 84-100
[58] ISHAQ , Ibid., « Sur les droits et les devoirs », p.153 et sq.
[59] Ishaq, ibid., pp. 104 et 106.
[60] Ishaq, ibid., p. 158. L’auteur qualifie littéralement le mal d’un « événement accidentel ».
[61] Ishaq, ibid., « Sur la liberté et l’autonomie », p. 85.
[62] Ishaq, ibid., p. 85.
[63] Ishaq, ibid., p. 85.
[64] Ishaq, ibid., « sur les droits et les devoirs », pp. 153 et sq.
[65] Ishaq, ibid., p. 158.
[66] Ishaq, ibid., p. 158.
[67] Ishaq, ibid., « le Mouvement des idées », pp. 136 et sq.
[68] Ishaq, ibid., , « Politique et morale », p. 69. La traduction donnée par Ishaq de ce passage du Contrat social (Livre I, 2ème §), est exacte. Seul le pronom possessif « mon » qui précède le mot « temps » n’y figure pas. A sa place Ishaq met un article. Peut-être a-t-il jugé la relation inutile dans un passage où le pronom personnel singulier « je » est fréquent.
[69] Ishaq, Ibid., p.69.
[70] IshaQ, ibid., pp.157, 160-165..
[71] Ishaq, ibid., p. 88
[72] On sait que, généralement, le réformisme arabe même dans sa version radicale bute contre la « question féminine » comme si la perméabilité à la modernité occidentale se transforme en son contraire quand il s’agit de la femme. Or Ishaq ne suit pas Rousseau dans ses paradoxes sur la femme et les réfute radicalement. C’est tout le XVIIIè siècle qui est nommément visée (Montesquieu, Rousseau, Robesbierre): « […]. Cette définition est indigne du XIXè siècle. Nous l’affirmons à haute voix sans craindre les détractions: la femme est l’égal de l’homme; mais elle est autre que l’homme. Son élévation à la dignité qu’elle mérite ne se fait pas par une assimilation à l’homme, car une telle assimilation dénature la femme et la travestit. L’élévation de la femme résulte de son développement et de son progrès continuels en tant qu’elle est femme de telle sorte que l’égalité coexiste avec la différence (tûjad al-mûssawat ma’a al-fariq) ». [souligné par nous A.L.]. Voir article: « Les droits de la femme » (1881), ibid., p.167.
[73] Ishaq, ibid., p. 88.
[74] Ishaq, ibid., pp. 85, 88 et 153-175.
[75] Ishaq, ibid., » Nation et patrie », pp. 74.
[76] Ishaq, ibid., pp. 73 et sq.
[77] Ishaq, ibid., p. 74.
[78] Ishaq, ibid., p. 272.
[79] Ishaq, ibid., p. 272.
[80] Ishaq, ibid., » la Révolution », p. 135.
[81] Ishaq, ibid., p. 86.
[82] Ishaq, ibid., pp. 84-85.
[83] Ishaq, ibid., » Nation et patrie », pp. 73 et sq.
[85] Ishaq, ibid., p. 80.
[86] IshaQ, ibid., p.157.
[87] Ishaq, ibid., p. 154.
[88] Farah Antone, Ibn Rochd wa falsafatuh [Averroès et sa philosophie], textes recueillis avec introd. par Taiyib Taizini, Beyrouth, Al-Farabi, 1988, [1ère éd. Alexandrie, 1903].
[89] Maroun ABBOUD: Rûwâd al-nahdha al-hadîtha [Les pionniers de la renaissance moderne], Beyrouth, dar al-thaqâfa, 1966, p. 268. Voir aussi Adonis Al-AKRA, « introduction », dans Farah ANTONE, Oeuvres romanesques, Beyrouth, Attali’a, 1979, p.5-10.
[90] Farah Antone, « Un projet nouveau dans la langue arabe », Al-Jâmi’a, éd. cit., Vol. III, t. IX, Août 1902. Nous reprendrons pus loin ce point.
[91] L’objet de cet article ne permet pas d’examiner cette lecture « antonienne » de Nietzsche. Mentionnons seulement qu’Antone consacre des articles à la « vie et la philosophie » de Nietzsche (Al-Jâmi’a, op. cit., Sept. 1906, t. II. – Février. 1908. – Av. 1908, t. II. – Mai 1908, t. IV, Juin 1908, t. V. – Déc. 1909, t. I. Janv. 1910, t. II.). pour la traduction des fragments de Ainsi parlait Zarathoustra, voir (Al-Jâmi’a, Sept. 1906, t. IV. Déc. 1909, t. I, Janv. 1910). Deux remarques s’imposent ici: 1°) c’est en septembre 1906 qu’Antone cite le nom de Nietzsche pour la première fois et lui consacre un article introductif: « Le contact entre l’Occident et l’Orient. Principe moderne et principe ancien: à propos d’un philosophe dont le nom n’est pas cité en arabe ». Antone précise: » Les gens en Orient connaissent Bismarck, le rassembleur des nations allemandes […]. Mais, à ce que nous croyons, ils n’ont pas entendu prononcer le nom de Nietzsche jusqu’à présent. Notre intention, en parlant ici du grand philosophe allemand, n’est pas d’exposer ses principes et sa biographie. Nous ajournons cette tâche à une autre occasion, le temps d’achever la lecture de ses ouvrages les plus importants et de réunir leurs principes que nous rassemblons et scrutons depuis deux ans […] ». 2°) dans le numéro de décembre 1909, Antone annonce dans une note que les autres livraisons de Ainsi parlait Zarathoustra se suivront dans les prochains numéros. Or le dernier numéro d’Al-Jâmi’a paru sera celui de janvier 1910.
[92] On peut se demander comment se fait-il qu’un réformateur comme Abduh qui déclare, en dépit de son statut de théologien, avoir passé des années durant pour balayer de sa tête les saletés d’al-Azhar, s’en prend sans merci à Antone tout en sachant les conséquences qui pourraient en découler, eu égard à l’atmosphère hostile qui prévaut en Egypte. N’a-t-on pas traité les Arabes chrétiens d’origine syrienne, comme Antone, d’étranger (ghûraba’). On peut, peut-être, répondre d’abord que par cette attaque Mohammed Abduh veut tracer les limites de la réforme intellectuelle: l’Islam lui même; et que peut-être craint-il une réaction qui mettrait en cause la réforme elle-même; ensuite que les saletés balayées ne sont pas nettoyées complément de sa tête, aveu qu’il fait lui même. Bref, vaincu, Antone émigre en 1906 aux Etats-Unis d’Amérique où il continue de publier Al-Jâmi’a, largement diffusée dans le monde arabe et dans les deux Amériques. Mais c’est encore une fois l’échec financier, semble-t-il. Quant il annonce son intention de retourner en Egypte, il reçoit de ses lecteurs 800 lettres de soutien et de sympathie. Quant sa maladie et les difficultés financières arrêtent la revue en 1910, il se tourne vers d’autres revues; mais dès qu’il publie dans l’une, c’est l’interdiction qui la frappe. Antone est mort en 1922 à l’âge de 48 ans. Si nous tenons à rappeler brièvement l’activité littéraire de nos auteurs, c’est pour permettre de mesurer la diffusion du rousseauisme dans la écrits arabes.
[93] Une consultation de l’oeuvre de Rousseau, notamment l’Emile, n’a pas abouti à localiser exactement la formule qui lui est attribuée ici. L’idée en soi n’est pas étrangère à cet ouvrage qui contient des expressions très proches ayant le sens de la formule emblématique d’Al-Jâmi’a (Emile, Livres I et V) .
[94] Farah Antone, « La vraie réforme: but de cette Revue », Al-Jâmi’a, éd. cit., Vol. I, t. I, 15 mars 1899.
[95] Rousseau, Emile ou de l’éducation, livre I, 1 et 2.
[96] Farah Antone, « La Vraie Réforme », art. cit.
[97] Tamaddoun signifie, en général, sous la plume des écrivains arabes du 19è siècle, « civilisation » et, parfois, « progrès ». Mais le sens précis visé par Antone dans ce texte est le luxe. Le texte débute comme suit: « Demandez aux habitants des châteaux, au buveurs de vins, à ceux qui se drapent d’épaisses étoffes tissées de soie et d’or […]. Interrogez celles qui traînent par terre les voiles de l’orgueil et de la vanterie […] . Interrogez les tous s’il peuvent reconnaître ce que représente le dessin qui précède ces lignes. En effet, l’article d’Antone est illustré par un dessein intitulé « l’homme à l’état de nature« .
[98] l’Académie de Dijon met au concours pour le prix de morale de 1750: « Si le rétablissement des arts et des sciences a contribué à épurer les moeurs ».
[99] Farah Antone, « L’homme et les effets du luxe sur lui », Al-Jâmi’a, éd. cit., vol. I, t. II, 1er avril 1899.
[100] Rousseau, Du Contrat social, éd. cit., p.199. Ailleurs, nous avons essayé d’établir un rapprochement entre Mably et Ibn Khaldûn au point de vue du rapport entre le progrès du luxe et la décadence morale et politique ( voir: « Sociabilité et histoire chez Mably et Ibn Khaldûn », in Revue d’Histoire Maghrébine, Zaghouan, Ceromdi, Mai 1994, N° 75-76).
[101]« gradation dans les développements successifs de la perfection ». On peut justifier cette traduction d’Antone par une expression qui précède, dans un passage du Second Discours, le concept de perfectibilité. Voir: Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes , Préf. et commentaires de J.- L. Lecercle, Paris, Ed. Sociales, 1977, p.105.
[102] Rousseau, Ibid., p.72 et sq.
[103] Farah Antone, « Droits de l’homme », Al-Jâmi’a, éd. cit., vol. III, t. IV, Novembre 1901.
[104] Farah Antone, Ibid.
[105] la spontanéité provient du fait que le concept de perfectibilité enveloppe l’idée d’un progrès naturel de l’espèce. En ce sens il contredit le volontarisme du contrat. Mais en même temps il permet la transition entre le Discours sur l’inégalité et le Contrat social.
[106] Farah Antone, Ibid.
[107] Farah Antone, Ibid.
[108] En 1754, ‘l’Académie de Dijon met au concours le sujet suivant: « Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle? ». Inspiré par cette question, Rousseau médite et rédige le Second discours.
[109] Al-Jâmi’a, éd. cit., vol. V, t. III, 1er Août 1906 et numéros suivants.
[110] Al-Mawardi (mort en 1058), grand théologien et juriste de l’Islam. Salâma Mûsa fait allusion à son oeuvre, Al-ahkâm assoltâniya, célèbre traité et longtemps « guide » théorique de politique civile et légale.
[111] Salâma Mûsa, L’éducation de Salâma Mûsa, ouv. cit., p. 57.
[112] Salâma Mûsa, « Naz’atân fi al-adab wa al-falsafa » [deux tendances dans la littérature et la philosophie], in la littérature pour le peuple, ouv. cit., p. 128.
[113] Salâma Mûsa, « ‘Achra kutub fi al-adab » [Dix ouvrages de littérature], in La littérature pour le peuple, ouv. cit., p. 183.
[114] Farah Antone, « Un projet nouveau dans la langue arabe », art. cit.
[115] C’est à l’occasion du centenaire de la naissance de V. Hugo qu’Antone prépare un exposé sur l’auteur français: « Histoire de Victor Hugo », avec cette mention: « Dissertation dédiée par Al-Jâmi’a à son noble esprit et son grand âme », Al-Jâmi’a, éd. cit., Vol. III, t. VII, Mars 1902, pp. 429-452.
[116] Farah Antone, « L’amour de Rousseau et de Madame de Warens – Visite du fondateur d’Al-Jâmi’a à leur domicile », Al-Jâmi’a, éd. cit., Vol. V, t. I, Juillet 1906.
[117] On peut conclure que cette première lecture des Confessions doit remonter à l’année 1891, alors qu’Antone n’a que 17 ans.
[118] Farah Antone, « L’amour de Rousseau… », art. cit.
[119] Adallah LAROUI, op. cit. p. 40-41
[120] Le concept de « crise de la conscience » est emprunté ici à Paul Hazard (La crise de la onscience européenne, Paris, Boivin, 1935). Nous avons, dès 1995, usé de ce concept pour qualifier un état de la pensée arabe moderne (voir supra : Présence de Rousseau…). Nous sommes heureux de constater que cet usage est confirmé par Abdou FILALI-ANSARI dans son essai : L’isalm est-il hostile à la laïcité , Paris, Sindbad, 2002
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