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imagesA Clarens, le premier baiser de Julie

Rousseau rêve à Clarens sa «résidence dans un bonheur imaginaire» et y place son roman «Julie ou La Nouvelle Héloïse»

«Clarens, sweet Clarens», s’exclamait lord Byron, accouru dans les parages lémaniques à la suite de Jean-Jacques Rousseau. Le poète anglais qui s’extasie à Clarens (VD), puis à Chillon, avait, comme beaucoup de ses contemporains et de ses compatriotes, lu Julie ou la Nouvelle Héloïse , roman d’amour épistolaire, précurseur du romantisme, texte majestueux et attachant à la fois, que Rousseau présente comme les «Lettres de deux amants, habitants d’une petite ville au pied des Alpes».

La Nouvelle Héloïse est achevé en 1758 et, dès sa publication à Paris en 1761, connaît un immense succès. On s’arrache le livre, les rééditions se succèdent: pas moins de 72, paraît-il, jusqu’en 1800. Monument littéraire rédigé par un homme qui n’est pas seulement un philosophe et un penseur, mais aussi un écrivain remarquable dont le style, aujourd’hui encore, est capable par moments de transporter son lecteur. La Nouvelle Héloïse traverse tous les états de l’amour: de l’amitié amoureuse jusqu’à la passion débordante; de l’amour filial à la sublimation chaste.

La belle Julie d’Etanges – secondée avec grâce par sa chère amie Claire – et Saint-Preux, son précepteur sans fortune, s’aiment. Ils s’aiment d’abord en silence, n’osant s’avouer leurs sentiments; puis l’amour se dit dans les premières lettres, devient source de souffrance, violent, passionné, coupable même aux yeux de la société, même s’il demeure innocent dans le cœur des amants. Condamné par les familles, refoulé par les protagonistes eux-mêmes qui n’osent pas s’affranchir – un projet de fuite en Angleterre est abandonné –, l’amour que se portent en vain Julie et Saint-Preux se retrouve sublimé, chaste et transfiguré dans le modèle de société familiale douce et proche de la nature, généreuse, égalitaire et accueillante que Julie et son mari, le digne M. de Wolmar, bâtissent autour de leurs enfants à Clarens. Ils y recevront Saint-Preux qui, comme Byron, plus tard, sera ébloui par les bonheurs simples de la vie au village. Il y découvrira, ému et charmé, une image de l’Elysée, du nom du jardin enchanteur aménagé par Julie dans les hauts de Clarens.

19014-agence-martienne-32961398Le choix du lieu, des paysages qui devaient abriter ces émois et ce possible Paradis philosophique a été capital pour Jean-Jacques Rousseau, qui y mit un soin tout particulier: «Pour placer mes personnages dans un séjour qui leur convînt, je passais successivement en revue les plus beaux lieux que j’eusse vus dans mes voyages», écrit-il dans les Confessions (livre IX). «Il me fallait cependant un lac, et je finis par choisir celui autour duquel mon cœur n’a jamais cessé d’errer. Je me fixais sur la partie des bords de ce lac à laquelle depuis longtemps mes vœux ont placé ma résidence dans le bonheur imaginaire auquel le sort m’a borné.»

Dans La Nouvelle Héloïse, le lac, les montagnes, la vigne, les arbres, les rochers mêmes jouent un rôle actif, agissent, nourrissent les sentiments des personnages et se font chatoyants au contact du récit. Avec Rousseau, l’action ne se trame plus dans un simple décor mais se met à l’unisson de la nature qui y concourt: «Je trouve la campagne plus riante, la verdure plus fraîche et plus vive, l’air plus pur de tendresse et de volupté […]; on dirait que la terre se pare pour former à ton heureux amant un lit nuptial digne de la beauté qu’il adore», écrit Saint-Preux, transporté à l’idée de revoir bientôt Julie.

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