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La nouvelle Héloïse de Jean-Jacques Rousseau (1760)
C’est un roman écrit sous forme de lettres et dont le sujet rappelle les amours d’Héloïse et d’Abélard. Jean-Jacques Rousseau s’est jugé lui-même sur la valeur morale de cette monstrueuse production. « Ce livre, dit-il dans la préface, n’est point fait pour circuler dans le monde, il convient à très peu de lecteurs. Toute fille qui aura lu une page de ce livre est une fille perdue… » L’auteur a placé la scène de son roman à Clarens, petite ville située sur le lac de Genève ; ce lieu lui a fourni l’occasion de peindre plusieurs tableaux ravissants de la nature suisse. Ce qui assure à ce roman une longue durée, c’est moins l’intérêt de l’action que l’éclat du style et les épisodes qu’il renferme. « Dans ce livre, dit Vinet, chacun disserte et quelquefois ces dissertations, comme celles sur le suicide, sur le duel, sont des chefs-d’œuvre. Mais ni l’éclat du style, ni les admirables descriptions de la nature ne pourront jamais racheter l’immoralité de cet ouvrage qu’il est prudent et sage de ne jamais ouvrir, comme l’auteur lui-même d’ailleurs nous le conseille. »
A Jean-Jacques,
Avoir attendu si longtemps avant d’ouvrir le plus étonnant roman qui soit, ou tout au moins, le premier roman qui servit de phare incandescent à l’époque romantique à venir ! Les mots s’enchaînent en dansant presque. Les sentiments entonnent allegro leur musique délicieuse et dévoilent leur visage vrai, toujours inspiré par la Nature. Vos sages réflexions s’appuient sur le même socle d’idées, aussi bienveillantes que sont la Passion et la Vertu ; on a affaire au triomphe des « deux idoles de votre cœur », les deux A : Amour et Amitié, Amour entre Amants, Amitié entre Amis. Les valeurs explosent en bouche et s’installent, offrant à nos héros comme une saveur d’éternité. Entre deux mots, l’on pressent pourtant comme une fracture. Le rythme cardiaque au ralenti, je m’en suis allée à la recherche du temps perdu, feuilletant les 850 pages de cette belle histoire d’amour sur le thème central du « je t’aime moi aussi » avec, en son cœur, l’épée assassine de la séparation.
Mais assurée d’un plongeon dans un océan d’émotions, je m’apprête à cueillir un cocktail de coton et chardons, coton par volupté à l’état Nature, chardons par désespoir jusqu’à l’apologie insensée du suicide et la mort, quelle qu’en soit la forme. Personne n’échappe à son destin : que l’on ne se méprenne pas, j’annonce ici que celui-ci me fut funeste. J’en oublie mes rendez-vous, telles ces dames qui, soucieuses de dérouler le fil de l’intrigue, ne peuvent se concentrer sur autre chose que sur l’issue fatale ou pas entre Julie et Saint-Preux. J’espère que le cours des événements va s’inverser, même si l’épilogue est clair comme l’eau de la roche. L’amour impossible sera-t-il aussi implacable que décrit ?
Leur histoire va probablement bien aborder le tournant car il doit y avoir malentendu. Le voile posé sur le visage de notre héroïne va peut-être se déchirer. Ils vont se marier et avoir beaucoup d’enfants puisqu’un beau roman d’amour m’est promis. Amoureuse des lettres, celles qui procurent le plaisir de les écrire, je vais connaître, en les lisant, le bonheur d’ouvrir un coffre au trésor enchanteur et ses 163 pièces d’or, billets doux ou acides.
Madame,
Je crains fort que Jean-Jacques ne puisse vous répondre mais je le puis. Simplement pour conseiller à une amoureuse des lettres, si vous n’avez déjà eut l’heur de le faire, de lire les lettres à Henriette (petit livre publié par Yannick Seité). Des échanges épistolaires magnifiques sur le thème du bonheur…
Bien à vous,
J’ai rarement dévoré, avec le goût d’un plaisir contrasté, une correspondance aussi délicieusement amère que celle entre Henriette et Rousseau. L’une, la jumelle de cœur, lui confie non seulement sa tristesse jusqu’au désespoir mais, acharnée, l’appelle au secours. L’autre, méprisant, distant, égocentrique – la seule fois, à mon sens, dans son œuvre, où ces traits de caractère aient été réunis. Elle, confiante, bienveillante, attachante mais vulnérable. Lui, offrant sa prescription à la façon de celle d’un médecin, sa recette comme celle d’un cuisinier, sa méthode bien rodée comparable à celle d’un philosophe.
A propos de ce promeneur si solitaire, sans plagier les frères Goncourt,
quelque part, Henriette l’a, sur le principe gouverné, par la raison, dirigé et par la voie de l’écriture, commandé.