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Moments de Jean-Jacques Rousseau : Jean Jacques Rousseau à Venise

En septembre 1743, Rousseau rejoint en qualité de secrétaire particulier, M. de Montaigu, ambassadeur de France à Venise. Il est fier d’occuper ce poste honorable mais il doit supporter un homme grossier, avare, ignorant et un peu fou avec lequel il aura de nombreux conflits.

A Venise. s’il faut l’en croire, Rousseau déploya les plus grands talents pour la diplomatie. On lui a contesté cette gloriole et longtemps on lui a reproché de s’être pris pour le secrétaire d’ambassade, alors qu’il n’était que secrétaire de l’ambassadeur.

mandolineRousseau approfondit sa culture artistique, dans le domaine du théâtre et de la musique, en particulier:

« Une musique à mon gré bien supérieure à celle des opéras et qui n’a pas sa semblable en Italie ni dans le reste du monde est celle des scuole. Les scuole sont des maisons de charité établies pour donner l’éducation à des jeunes filles sans bien (…) ». 
Extrait «Les Confessions» livre VII

Après 18 mois, Rousseau quitta Venise le 6 aôut 1744, et n’en fut pas récompensé ; M. de Montaigu ne songea qu’à l’humiliation d’avoir un secrétaire plus fort que lui et le mit à la porte. De retour à Paris, il demanda inutilement justice de son ambassadeur.

Chronologie : 

Septembre 1743-août 1744

– 4 septembre, Rousseau arrive à Venise, à l’Ambassade de France installée au palais Toma Quirini, 967-969, Cannaregio (Fondamenta de Canaregio) (OC I, p. 297; «Chronologie», p. 43).

veniseAmbassade Ambassade Fondamenta San Giobbe

 

 

– 19 septembre, Venise, R. se présente au palais des Doges pour demander des loges de théâtre à l’usage de l’ambassadeur (Rousseau à Venise, p. 12). En tant que secrétaire, il s’y rend souvent durant son séjour vénétien (OC I, p. 298).

venise4Palazzo Ducale Palazzo Ducale Palazzo Ducale

 

 

 

Avant le 7 décembre 1743, Venise, Montaigu envoie R. chez Grimani pour réclamer les Veronese (en particulier Coraline Veronese) installés au théâtre San Samuele dont l’entrée se situait au numéro 3044, San Marco (Corte del Duca Sforza). Il est probable que R. est aussi allé chez Zustiniani, propriétaire du théâtre San Moisè où dansait Camille Veronese (CC 67, 73, 74 et 75; OC I, p. 302; OC III, p. 1096-1099 et 1823). Ce dernier théatre se trouvait au fond de Calle del Teatro S. Moisè à San Marco.

venise12Théâtre San Samuel Théâtre San Samuel

 

 

 

 

– 5 avril 1744?, Venise, R. est probablement au concert dans la Chapelle à Incurabili, aujourd’hui occupé par Accademia di belle arti di Venezia, à Dorsoduro (OC II, p. 1144-1145 et 1897).

venise4Chapelle aux Incurables Chapelle aux Incurables Chapelle aux Incurables

 

 

– 14 juillet 1744, Venise, R. passe la journée à l’Ile de Poveglia pour l’affaire du vaisseau d’Olivet (CC 105 et 106; OC I, p. 303-304). L’île se trouve au large de Malamocco à l’Ile de Lido.

venise19Poveglia

 

 

 

– Fin juillet 1744, Venise, R. visite une verrerie à Murano avec Zulietta (OC I, p. 319).

venise21Murano

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Un magnifique appartement de l’un des plus illustres philosophes des Lumières se situe dans un des six quartiers historiques de la Ville des amoureux.

 

Une annonce publiée sur le site immobilier Idealista fait état de la mise en vente de la demeure de Jean-Jacques Rousseau à Venise. La résidence du célèbre philosophe des Lumières est à vendre pour la modique somme de 2,4 millions d’euros.

Il s’agit d’un somptueux appartement de deux étages d’une superficie de 280 m2, situé en face du Ponte dei Tre Archi, dans le quartier historique du Cannaregio. L’auteur de Du contrat social et d’Emile, ou De l’éducation y a résidé entre 1743 et 1744 alors qu’il occupait la fonction de secrétaire de l’ambassadeur de France à Venise. Il n’y a séjourné que très peu de temps en raison de ses difficiles relations avec ce dernier.

La demeure, entièrement restaurée est dotée d’une vaste salle de séjour et sa décoration terrazzo alla veneziana, de quatre chambres, d’une cuisine et de trois salles de bain. Un balcon donne également directement sur le Canale di Cannaregio.

Twitter :

#Venezia, In vendita su idealista la di Jean Jacques #Rousseau
http://www.idealista.it/news/immobiliare/blog-di-idealista/2015/09/10/117622-in-vendita-su-idealista-la-casa-veneziana-di-jean-jacques-rousseau

coiomdexaaax1dt

 

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Alain Grosrichard.
Ornicar, n°25 (1982)

« L’air de Venise

Hélas! mon plus constant bonheur fut en songe. Son accomplissement fut presque à l’instant suivi du réveil.

J.-J. Rousseau. Confessions

Septembre 1743. Rousseau, qui vient d’avoir 31 ans, arrive à Venise pour y occuper le poste de secrétaire de l’Ambassadeur de France, un imbécile, nommé M. de Montaigu: Je trouvai des tas de Dépêches tant de la Cour que des autres ambassadeurs, dont il n’avait pu lire ce qui était chiffré, quoiqu’il eût tous les chiffres pour cela. N’ayant jamais travaillé dans aucun Bureau ni vu de ma vie un chiffre de Ministre, je craignis d’abord d’en être embarrassé, mais je trouvai que rien n’était plus simple et en moins de huit joursj’eus déchiffré le tout. 

Durant les onze mois de son séjour à Venise, Rousseau passera donc ses journées dans l’Ambassade, à chiffrer et déchiffrer des dépêches, sans que rien l’y ait préparé. Sans doute vient-il de présenter à l’Académie des Sciences son Projet concernant de nouveaux signes pour la musique, qui n’est rien d’autre qu’un chiffrage. Mais il s’y propose, justement, de remplacer la notation traditionnelle trop compliquée (trop cryptée), par un système de chiffres simples, rendant immédiatement lisible, même par un débutant, l’air à exécuter. A l’Ambassade, lui qui n’a jamais cessé de rêver d’une communication de coeur à coeur sans médiation, le voilà devenu cryptographe professionnel, occupé du matin au soir à coder et décoder des messages, à brouiller les communications, et à manier en expert les redoutables pouvoirs de la lettre.

Il ne s’en plaint pas. Au contraire, on dirait qu’il prend plaisir à cet emploi d’Hermès fonctionnaire. Payé pour composer et déchiffrer des énigmes, n’a-t-il pas trouvé l’occasion de satisfaire cette passion d’interpréter qui le tient depuis l’enfance et qui plus tard, devenue folie, nourrira son délire? Mais la passion est ici disciplinée. L’interprétation, toujours hasardeuse, se réduit à une traduction réglée. L’art un peu fou à une sobre technique. Le lot de Rousseau, si on l’en croit, aura toujours été d’émettre et de recevoir des messages obscurs. Mais ici, pour une fois, cette obscurité, totale, est aussi totalement éliminable. Il détient la bonne clé. Il est maître absolu du code.

Ce qui n’arrive jamais avec la langue commune, toujours vouée à l’équivoque. Comme les hommes doubles qui la parlent, malheureux fruits de la nature pervertie et de la loi dégénérée, la langue est dénaturée, mais à moitié seulement, ce qui est p’ire. Certes, la cryptographie représente la dernière étape dans une histoire des langues marquée par l’extinction des voix et l’emprise, inséparable de la montée du despotisme, du signifiant littéral. Le chiffre: qu’est-ce d’autre que du signifiant littéral ne renvoyant qu’à du signifiant littéral, pour des sujets (maîtres ou esclaves) condamnés au secret, à la dissimulation, au mutisme? Mais il apparaît du coup comme une dénaturation radicale de la langue. Et l’extrême artifice, ici, comme partout chez Rousseau, rejoint presque le naturel. Dans l’histoire des langues, la cryptographie chiffrée atteint donc le point extrême qui ferme le cercle et touche au point d’où nous sommes partis [2]: la communication, sans malentendus, dans le silence. Ce silence de la pure nature, où les humains, libres et heureux encore, finirent par se rencontrer, se regarder, se reconneitre hommes et femmes, et à qui l’amour, un jour, arracha les premières voix.

Le chiffre, dernier degré dans l’art d’écrire. La voix, premier degré dans l’art de parler. Deux extrêmes, qu’oppose et sépare toute une histoire, mais entre lesquels, pourtant, il n’y a qu’un pas. Un seuil: celui de l’Ambassade de France, que Rousseau, son travail terminé, franchit chaque jour pour aller prendre l’air de Venise, et s’abandonner au charme des voix inouïes qu’il vient d’y découvrir…. 

Lire la suite : http://www.unige.ch/lettres/framo/articles/ag_venise.html

 

Lire aussi:  Jean Jacques Rousseau à Venise raconté par lui même