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Parmi les fondateurs des Lumières, plusieurs péchaient par un optimisme excessif.
L’un de leurs importants précurseurs, le poète anglais Milton, regrettait que l’humanité, se pliant aux diktats de la tradition, restât délibérément dans l’enfance, tel un écolier qui n’ose pas avancer sans les instructions de son maître. Il formulait l’espoir que, grâce au libre exercice de la raison, elle accéderait enfin à l’âge adulte.
Certains partisans des Lumières, tel Turgot, ont traduit cet espoir en une théorie quasi mécanique du progrès, non seulement celui des connaissances ou de la technique, mais aussi de l’esprit et des mœurs.
D’autres, Voltaire et d’Alembert, Lessing et Condorcet, ont été plus circonspects, mais ils n’ont pas moins cru que, grâce aux Lumières, l’humanité pourrait accéder à sa majorité, conséquence inévitable de la diffusion du savoir et de la culture.

Or l’histoire qui s’est écoulée depuis cette époque-là nous montre que ces prédictions étaient mal fondées.
C’est que les adversaires combattus par l’esprit des Lumières ne pouvaient pas disparaître définitivement, car ils puisaient leur force dans des caractéristiques des hommes et de leurs sociétés tout aussi indélébiles que le désir de liberté et de rationalité.
Ces adversaires sont donc comme les têtes de l’hydre qui repoussent aussitôt après avoir été coupées. Les hommes ont besoin de sécurité et de consolation non moins que de liberté et de vérité ; ils préfèrent défendre les membres de leur groupe plutôt que d’adhérer aux valeurs universelles ; et le désir de pouvoir, entraînant l’usage de la violence, n’est pas moins caractéristique de l’espèce humaine que l’est l’argumentation rationnelle.
Ce ne sont donc pas là des difficultés provisoires, qu’un parti politique ou un gouvernement pourrait, grâce à des réformes ingénieuses, régler à tout jamais, mais des éléments constitutifs de la condition humaine.
Condition que n’ignoraient pas d’autres représentants, plus lucides, de la pensée des Lumières, et avant tout Jean-Jacques Rousseau, qui croyait, lui, non au progrès, mais seulement à la perfectibilité de l’individu, c’est-à-dire à la possibilité d’avancées, mais sans rien d’irréversible : une qualité qui justifie tous les efforts mais ne garantit aucun succès.
Quant à l’histoire de l’humanité, Rousseau voyait chaque progrès s’accompagner d’une nouvelle régression, chaque amélioration engendrer une dégradation.