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PARIS, 26 – 27 NOVEMBRE 2018

Institut Protestant de Théologie

83 Boulevard Arago

Paris

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Les Confessions LIVRE VII

Après deux ans de silence et de patience, malgré mes résolutions, je reprends la plume. Lecteur, suspendez votre jugement sur les raisons qui m’y forcent. Vous n’en pouvez juger qu’après m’avoir lu.
On a vu s’écouler ma paisible jeunesse dans une vie égale, assez douce, sans de grandes traverses ni de grandes prospérités. Cette médiocrité fut en grande partie l’ouvrage de mon naturel ardent, mais faible, moins prompt encore à entreprendre que facile à décourager ; sortant du repos par secousses, mais y rentrant par lassitude et par goût, et qui, me ramenant toujours, loin des grandes vertus et plus loin des grands vices, à la vie oiseuse et tranquille pour laquelle je me sentais né, ne m’a jamais permis d’aller à rien de grand, soit en bien, soit en mal.
Quel tableau différent j’aurai bientôt à développer ! Le sort, qui durant trente ans favorisa mes penchants, les contraria durant les trente autres, et, de cette opposition continuelle entre ma situation et mes inclinations, on verra naître des fautes énormes, des malheurs inouïs, et toutes les vertus, excepté la force, qui peuvent honorer l’adversité.
Ma première partie a été toute écrite de mémoire et j’y ai dû faire beaucoup d’erreurs. Forcé d’écrire la seconde de mémoire aussi, j’y en ferai probablement beaucoup davantage. Les doux souvenirs de mes beaux ans passés avec autant de tranquillité que d’innocence, m’ont laissé mille impressions charmantes que j’aime sans cesse à me rappeler. On verra bientôt combien sont différents ceux du reste de ma vie. Les rappeler, c’est en renouveler l’amertume. Loin d’aigrir celle de ma situation par ces tristes retours, je les écarte autant qu’il m’est possible, et souvent j’y réussis au point de ne les pouvoir plus retrouver au besoin. Cette facilité d’oublier les maux est une consolation que le ciel m’a ménagée dans ceux que le sort devait un jour accumuler sur moi. Ma mémoire, qui me retrace uniquement les objets agréables, est l’heureux contrepoids de mon imagination effarouchée, qui ne me fait prévoir que de cruels avenirs.
Tous les papiers que j’avais rassemblés pour suppléer à ma mémoire et me guider dans cette entreprise, passés en d’autres mains, ne rentreront plus dans les miennes. Je n’ai qu’un guide fidèle sur lequel je puisse compter, c’est la chaîne des sentiments qui ont marqué la succession de mon être, et par eux celle des événements qui en ont été la cause ou l’effet. J’oublie aisément mes malheurs ; mais je ne puis oublier mes fautes, et j’oublie encore moins mes bons sentiments. Leur souvenir m’est trop cher pour s’effacer jamais de mon cœur. Je puis faire des omissions dans les faits, des transpositions, des erreurs de dates ; mais je ne puis me tromper sur ce que j’ai senti, ni sur ce que mes sentiments m’ont fait faire ; et voilà de quoi principalement il s’agit. L’objet propre de mes confessions est de faire connaître exactement mon intérieur dans toutes les situations de ma vie. C’est l’histoire de mon âme que j’ai promise, et pour l’écrire fidèlement je n’ai pas besoin d’autres mémoires ; il me suffit, comme j’ai fait jusqu’ici, de rentrer au-dedans de moi.