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topelement.jpgLe premier des cinq enfants de Jean-Jacques Rousseau et Thérèse Levasseur, alors âgé de deux jours, est déposé à l’hospice des Enfants-Trouvés par une sage-femme.

C’est le destin de ce bébé, celui d’un enfant abandonné que l’on envoie dans la Picardie rurale et profonde du 18e siècle, et qui passe de nourrice en nourrice, avant de trouver peut être une famille pour l’accueillir.

Le « paradoxe Rousseau ». Comment le philosophe des Lumières a-t-il pu convaincre sa compagne d’abandonner successivement cinq enfants entre 1746 et 1752 ?

A défaut d’excuser, on peut au moins s’interroger et tenter de comprendre.

La SIAM JJR  n’est pas là pour juger. Nous devons replacer les faits dans le contexte de leur époque. Au 18e siècle, les naissances ne peuvent être planifiées et les familles ne bénéficient d’aucune aide à l’éducation de leurs enfants.

L’attitude de Rousseau n’a rien d’une exception. À Paris, un quart des nouveaux-nés sont abandonnés par leurs parents. Ils sont acheminés hors de la capitale dans des conditions effroyables, afin notamment que leurs mères n’aient pas la tentation de les retrouver. 

70 % d’entre eux décèdent avant l’âge de 1 an.

Quelles raisons ont pu pousser Jean-Jacques Rousseau à agir de la sorte ?

 Le futur philosophe, qui a d’abord une vocation de musicien, ne roule pas sur l’or.

Sa compagne, Thérèse Levasseur est une modeste lingère.

Mais la famille de celle-ci aurait pu accueillir les enfants. La décision de l’écrivain semble plutôt en lien avec sa volonté persistante de rester un homme libre.

« Vous connoissez ma situation : je gagne au jour la journée mon pain avec assez de peine : comment nourrirois-je encore une famille ? Et si j’étois contraint de recourir au métier d’auteur, comment les soucis domestiques et le tracas des enfants me laisseroient-ils, dans mon grenier, la tranquillité d’esprit nécessaire pour faire un travail lucratif ? » (Correspondance).

En 1750, il écrit le Discours sur les sciences et les arts.

Une famille eût peut-être entravé sa carrière et empêché une autre gestation : celle de son œuvre de philosophe.

Les choix privés discutables de Jean-Jacques Rousseau (ses amis philosophes réprouvent les abandons de ses enfants), ne l’empêchent pas d’élaborer en 1762 Émile ou De l’éducation, un célèbre traité portant sur « l’art de former les hommes« . Lui qui n’a assumé l’éducation d’aucun de ses propres enfants, imagine sur le papier un garçon fictif,  Émile, qui lui sert de cas pratique pour l’exposé de ses théories. C’est toute la contradiction du personnage.

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En 1764, un pamphlet anonyme, Le Sentiment des Citoyens, attaque violemment Jean-Jacques Rousseau et révèle l’abandon des enfants : « c’est un homme qui porte encore les marques funestes de ses débauches ; et qui déguisé en saltimbanque traîne avec lui de village en village et de montagne en montagne, la malheureuse dont il fit mourir la mère et dont il a exposé les enfants à la porte d’un hôpital« .

Voltaire en est l’auteur. Le coup est rude pour Jean-Jacques Rousseau qui va se justifier dans ses Confessions entre 1766 et 1769. Son œuvre devient alors autobiographique

 Les regrets de Rousseau eu égard à ce refus de paternité.

Ce regret est-il sincère ? Sans la dénonciation de Voltaire, l’eût-il manifesté de cette façon ? Dans les langes du premier enfant qu’il abandonne, il a glissé une carte à jouer afin de peut-être l’identifier plus tard. Il fera la tentative de le retrouver. Mais il se ravise bientôt et met un terme à ses recherches.

Ces enfants restent de sa mauvaise conscience. Celui qui cristallise toutes ses contradictions.

Un tableau de la France du 18e siècle.

La misère y fait rage, l’enfance est malmenée, les existences sont rudes, partagées entre religion et superstition. Ces enfants traverserons  cette époque d’une tout autre façon que leur  père.

« Il faut parler tant qu’on peut par les actions, et ne dire que ce qu’on ne saurait faire. »
(Émile ou De l’éducation –
 Jean-Jacques Rousseau)