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UQAM (Université du Québec À Montréal)
Colloque International:
« Jean-Jacques Rousseau, anticipateur ou retardataire? »
Yves VARGAS
Rousseau, les paysans et la monnaie
Il semble admis que Rousseau ne fut pas un économiste fort sagace, on le soupçonne même d’avoir été d’une myopie entêtée concernant les phénomènes qu’il avait sous les yeux: à savoir la modernité capitaliste qui prenait fermement ses marques dans l’essor de la manufacture. Contre la manufacture Rousseau enracine ses principes dans l’agriculture, contre la marée mercantiliste libre-échangiste il se cambre sur la production autosuffisante, contre le monétarisme envahissant, il clame que l’homme est la seule richesse en ce monde et qu’il faut supprimer la monnaie, allant jusqu’à préconiser le retour à la corvée publique pour remplacer l’impôt en espèces. En clair, Rousseau semble être l’homme d’un autre âge, celui qui aurait gémit contre le capitalisme naissant sans voir son bel enfant sourire au milieu des douleurs de l’accouchement.
Je ne souhaite certes pas faire Rousseau meilleur économiste qu’il ne fut. Je voudrais plutôt montrer que la théorie économique de Rousseau n’est pas une rêverie morale mais une théorie fort rigoureuse. Il est certain que Rousseau commet une bévue dans son analyse de l’économie contemporaine, mais il est utile de voir qu’à partir de cette bévue toute son économie est cohérente. On pourrait dire que son économie est déductivement vraie à partir d’une hypothèse inadaptée qui en rend les conclusions inacceptables.
Si on peut affirmer cela, c’est parce que son constat erroné dans l’Europe du dix huitième siècle s’est réalisé dans le « tiers monde » du vingtième selon des analogies troublantes. Les catastrophes économiques dont Rousseau menaçait le monde (c’est-à-dire l’Europe) se sont avérées dans plusieurs pays du tiers monde selon des mécanismes fort proches de ceux qu’il dénonçait à tort. À tort mais à raison. À tort factuel et à raison théorique.
Je propose donc d’exposer cette idée en rappelant d’abord les principes de l’économie rousseauiste, et leur bévue, puis en précisant le point nodal et fautif qui préside à cette économie; enfin je rappellerai quelques éléments de l’économie tiers mondiste qui permettront un retour sur notre philosophe.
* [ I ]. Les méfaits de la manufacture
La manufacture développe le commerce puisque sa production ne peut nourrir directement son producteur, à la différence de l’agriculture; il faut donc échanger; en conséquence elle développe le besoin d’argent, car la monnaie favorise le commerce. Pour finir, la manufacture siège dans les villes qu’elle enrichit et embellit. Or tous ces caractères apparemment positifs sont pour Rousseau causes de misère et d’appauvrissement de la nation. Examinons ces points: la ville, le commerce, la monnaie.
1) la ville
Plus la ville s’enrichit, plus les campagnes se désertifient:
Les environs des capitales ont un air de vie, mais plus on s’éloigne plus tout est désert. De la capitale s’échappe une peste continuelle qui ruine et détruit enfin la nation.[1]
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