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Ermenonville, Jean Jacques Rousseau, Montmorency, Orange, Rousseau
En mémoire aux victimes des attentats
en France, en Belgique, et
dans le monde
« Jésus sera en agonie jusqu’à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là.
Je pensais à toi dans mon agonie, j’ai versé telles gouttes de sang pour toi. (…) Je te
suis plus ami que tel et tel ; car j’ai fait pour toi plus qu’eux, et ils ne souffriraient
pas ce que j’ai souffert de toi et ne mourraient pas pour toi dans le temps
de tes infidélités et cruautés » (Blaise Pascal, Pensées, BVII, 553)
d’après un texte de Bruno Hongre
Pascal et le Mystère de Jésus
« Dans la Pensée 553 (édition Brunschvicg), Pascal médite sur la situation de Jésus au jardin de Gethsémani, entouré de ses disciples qui dorment. C’est l’épisode dit de «l’agonie du Christ» au Mont des Oliviers, évoqué notamment dans l’Evangile selon Matthieu (XXVI).
Ce texte comprend deux parties : d’abord l’évocation intense des souffrances de Jésus, qui conduit à entrer en sympathie avec lui et à « partager » sa peine infinie ; puis la « réponse » de Jésus qui console, guide et apaise l’inquiétude du pécheur qui s’est senti responsable de ces douleurs. (…)
De ce texte, il peut y avoir plusieurs lectures.
Celle du croyant catholique qui y vit le mystère de la rédemption, et y trouve un sens à ses souffrances : les unir à celles de Jésus pour contribuer au salut de l’humanité (Pascal dit d’ailleurs : « Il faut ajouter mes plaies aux siennes, et me joindre à lui, et il me sauvera en se sauvant »).
À l’opposé, celle de l’athée moderne qui verra là un Pascal délirant, doloriste, culpabilisant, atteint d’une pathologie aux racines psychanalytiques sans doute explicables, mais qui font de ce texte quelque chose de dépassé et d’irrecevable aujourd’hui, aussi lyrique soit-il.
Mais on peut aussi tenter sur ce texte une lecture humaniste, agnostique au bon sens du terme (ni croyante ni incroyante), et se demander si, au-delà de la figure de Jésus-Christ, Pascal n’exprime pas, par une sorte de prescience aiguë, le drame éternel de l’Homme souffrant, du Juste souffrant de la souffrance des Hommes. Il suffit presque, dans ce texte, de remplacer le nom « Jésus-Christ » par « l’Homme souffrant » pour qu’il trouve une dimension propre à toucher nos contemporains.
Ainsi, le thème de Jésus « délaissé seul à la colère de Dieu, souffrant cette peine et cet abandon dans l’horreur de la nuit » évoque l’effroi infini de tout Juste qui se sent frappé par un châtiment injuste, incompréhensible, disproportionné. Combien qui attendent la mort dans leur cellule doivent se sentir livrés à la « colère de dieu », à cette terrible injustice du sort dont la logique leur échappe, et vont mourir dans la profonde douleur – spirituelle – de cette incompréhension !
Savoir pourquoi, même cela semble refusé à l’homme juste face à l’Eternel qui se tait. Il est dans la nuit ; son « âme est triste jusqu’à la mort »*.
Le Juste voudrait du réconfort ; comme tout un chacun, il appelle la présence attentive de ses amis, il voudrait « de la compagnie et du soulagement de la part des hommes »; mais ceux-ci dorment, ils dorment toujours quand il faudrait veiller…
C’est alors que l’intuition de Pascal saisit cette vérité humaine intemporelle : «Jésus est en agonie jusqu’à la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-là». C’est bien dans cette formule qu’il suffit de remplacer « Jésus » par « l’Homme souffrant » pour atteindre une vérité qui vaut pour toute personne et toute société. Ne pas dormir pendant cette agonie qui ne finit pas, c’est chaque jour poser des actes de vie contre toutes les forces ou les pulsions de mort, des moments de joie contre toutes les racines de la frustration, des actions politiques minimales ou maximales contre toutes les sources d’injustice ou d’inégalité, (le mot « politique » désignant ici tout ce qui relève de la vie de la Cité), des gestes de paix ou de compassion à l’égard de tous les souffrants de ce monde. C’est tout un programme de vie, – á travailler à l’essor des êtres, favoriser le progrès des consciences, animer les cœurs en leur donnant du sens, qui est énoncé ici comme une lutte sans fin (agonie veut dire « combat », du grec agon). Un programme d’Espérance en l’être humain (on peut songer à la phrase de Bernanos : « La plus haute forme de l’espérance, c’est le désespoir surmonté »). Et le Juste sait, sans savoir pourquoi, qu’il ne peut panser la moindre blessure de l’Humanité sans qu’il lui en coûte quelques larmes…
Le Juste qui souffre comprend que ses amis puissent ne pas comprendre : parce qu’il les aime, parce qu’il se souvient de ce qu’il était, et sait qu’il n’aurait pas compris – avant de l’éprouver lui-même -, le caractère singulier, irréductible, de la déréliction. Du fond de sa solitude, il parvient à se sentir en compassion avec leur indifférence : il les perçoit presque d’un point de vue divin, dans leur être et dans leurs limites, sachant qu’ils comprendront sans doute un jour, mais plus tard, à l’heure de leur propre mort peut-être, et qu’il est inutile de vouloir hâter ce qui ne doit venir qu’à son heure. Le Juste garde son amitié à ses amis qui ne peuvent ni l’aider ni le comprendre ; il ne juge pas. Il entre en « prière » à leur intention si l’on veut, même s’il est incroyant, la prière étant dans ce sens cet état où l’on entre en communion, en compassion mutuelle, avec les bonnes volontés qui peuplent le monde spirituel, ce « troisième » ordre pressenti par Pascal, ces bonnes volontés qui ne savent pas elles-mêmes qu’elles constituent cette communauté invisible.
Le Juste qui souffre va-t-il trouver Dieu au cœur de sa souffrance ?
Il touche en tout cas à cette part divine en soi par laquelle on rejoint sans doute le mystère de l’Être (la « conscience–instinct divin » dont parle Jean Jacques Rousseau), cette fibre divine qui va peut-être le conduire à un apaisement inattendu, à cette voix informelle qui lui suggère « Ne t’inquiète donc pas, tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé».
Pour conclure, je ne sais si la méditation de Pascal élucide le mystère de la souffrance, mais il nous en établit le paradigme : l’abandon à la colère des choses, la solitude vis-à-vis des hommes, la détresse spirituelle (la mort de l’âme), l’urgence de la combattre, la saisie douloureuse en soi-même de cette part divine qui conduit à comprendre les autres de l’intérieur… Et la paradoxale sérénité vécue par certains Justes au bout de leur infinie souffrance.
Bruno Hongre
*Dans les traductions actuelles, on trouve plutôt la leçon : « Mon âme est triste à en mourir »
Il semblerait que tout événement tragique devienne prétexte à exaltation, fut-ce sous des formes cauteleuses et lénifiantes, de l’irrationalisme « bien-pensant » et des fanatismes latents à toutes les croyances religieuses, monothéistes en particulier !
L’horreur et la lâcheté des crimes de notre actualité, qui ne les réprouve point ? Mais de grâce ( !) ne mêlons pas les dieux et le crucifié aux tristes aveuglements humains ! Le douloureux passé de nos tristement célèbres guerres de religions, pas si éloignées, devrait nous inciter à plus de pudeur et de réserve. Car enfin, et au nom du crucifié et pour le salut de leurs « âmes » les chrétiens catholiques apostoliques ont torturé, massacré, assassiné les « hérétiques », le roi de France comme le pape font frapper une médaille pour commémorer la « sainte et glorieuse » réaction de la saint Barthélémy, triste saint qui n’en demandait peut-être pas tant !
S’abriter derrière le drapeau d’un soi-disant « véritable humanisme », manipuler les distinctions entre croyant, athée et agnostique, invoquer l’autorité de Pascal, grand génie s’il en fût mais par ailleurs sinistre cagot, pour mieux exalter le secours des « solutions » religieuses illustrées par une imagerie sulpicienne, non merci !
Enfin, le faire dans les pages d’un site géré par les deniers publics, qui plus est, dédié à la mémoire de Jean-Jacques ROUSSEAU, l’inventeur de la laïcité, est une honte et souligne assez la dérive lâche actuelle de nos institutions. Pour mémoire, de Jean-Jacques Rousseau, apatride, persécuté par la chrétienté tant catholique que calvinistes, on pourra relire et méditer quelques lignes de la lettre à Voltaire écrite du 18 août 1756 :
« J’ignore si cet Être juste ne punira point un jour toute tyrannie exercée en son nom ; je suis bien sûr au moins qu’il ne la partagera pas, & ne refusera le bonheur éternel à nul incrédule vertueux & de bonne foi. Puis-je sans offenser sa bonté & même sa justice douter qu’un cœur droit ne rachète une erreur involontaire, & que des mœurs irréprochables ne vaillent bien mille cultes bizarres prescrits par les hommes & rejetés par la raison ? Je dirai plus ; si je pouvais à mon choix acheter les œuvres au dépend de ma foi, & compenser à force de vertu mon incrédulité supposée, je ne balancerais pas un instant ; & j’aimerais mieux pouvoir dire à Dieu. J’ai fait sans songer à toi le bien qui t’est agréable, & mon cœur suivait ta volonté sans la connaître, que de lui dire, comme il faudra que je fasse un jour. Je t’aimais. & je n’ai cessé de t’offenser ; je t’ai connu & n’ai rien fait pour te plaire.
Il y a, je l’avoue, une sorte de profession de foi que les lois peuvent imposer ; mais hors les principes de la morale & du droit naturel, elle doit être purement négative, parce qu’il peut exister des religions qui attaquent les fondements de la société & qu’il faut commencer par exterminer ces religions pour assurer la paix de l’État. De ces dogmes à proscrire l’intolérance est sans difficulté le plus odieux, mais il faut la prendre à sa source, car les fanatiques les plus sanguinaires changent de langage selon la fortune & ne prêchent que patience & douceur quand ils ne sont pas les plus forts. Ainsi j’appelle intolérant par principe tout homme qui s’imagine qu’on ne peut être homme de bien sans croire tout ce qu’il croit, & damne impitoyablement ceux qui ne pensent pas comme lui. En effet, les fidèles sont rarement d’humeur à laisser les réprouvés en paix dans ce monde, & un saint qui croit vivre avec des damnés anticipe volontiers sur le métier du Diable. Quant aux incrédules intolérants qui voudraient forcer le peuple à ne rien croire, je ne les bannirais pas moins sévèrement que ceux qui le veulent forcer à croire tout ce qu’il leur plaît. »
Monsieur, merci de l’intérêt que vous portez à nos colonnes, celles d’une association, qui n’EST PAS GEREE PAR LES DENIERS PUBLICS. Soyez rassurer & dormez en paix, cette association est déclarée comme « société amie de musée » et ne reçoit aucune subvention autre que celle de ses membres. & nous soulignons dans vos propos « la dérive lâche actuelle de nos institutions », propos auxquels nous adhérons.
Monsieur, seriez vous directement concerné par un de ces événements & touchant un de vos proches … qu’elles seraient alors vos propos ? & Bien à vous . Christian Didier – Président de la SIAM JJR.