La musique de Rousseau, ses écrits sur la musique et sur l’origine des langues qui ne bénéficiaient dans les études et les colloques que d’un statut illustratif et marginal, ont pris dans les années 1980, à partir des travaux sur l’esthétique musicale de Catherine Kintzler, une place en pointe dans les recherches sur la pensée du philosophe.
L’imitation invisible de la nature
Le besoin de communiquer les sentiments et les pensées a toujours poussé l’homme à interagir avec son semblable par la médiation des deux moyens sensibles : le mouvement et la voix. Les gestes sont liés aux besoins physiques qui n’utilisent justement pas les paroles, tandis que la voix exprime les passions :
« On ne commença pas par raisonner mais par sentir… »
C’est ainsi que le langage prend vie et devient sonore, grâce aux passions d’où il est né. Les premières formes de langage disposaient d’une gamme très vaste de sons et d’articulations.
« On chantait au lieu de parler. Les premiers discours furent les premières chansons. La parole est la première institution sociale ». Voilà donc l’origine commune de la musique et du langage parlé.
C’est précisément à travers le chant, la mélodie qui évoque des sentiments, que Rousseau a cherché à traduire concrètement ces intuitions en musique, en écrivant l’intermède musical Le devin du village et les airs, chansons et duos réunis en un seul volume après sa mort sous le titre des « Consolations des misères de ma vie. En s’inspirant du modèle italien que Rousseau considérait comme le plus élevé dans le domaine musical, le philosophe musicien a tenté de façonner la langue française par les affects de l’âme humaine à la manière des grands compositeurs italiens, tels que Pergolesi, Leo, Vinci qu’il admirait tant, tout comme son frère-ami Diderot dans Le Neveu de Rameau. Le « cri animal de la passion », selon Diderot, est à l’origine de toute forme de communication expressive, en premier lieu celle de la musique vocale.
Convaincu de la perte progressive de chaleur musicale dans le langage moderne, devenu de plus en plus compréhensible et, en même temps, plus froid, plus artificieux, plus calculé, Rousseau a toujours soutenu la supériorité de la langue et de la musique italiennes, en stigmatisant, souvent par des accents très polémiques et provocateurs, le peu de musicalité de la langue française. Elle ne parle plus au cœur, disait-il, mais seulement à la raison. Et contre la froideur stérile d’un tel langage, seule la musique est capable de réfléchir, comme dans un miroir, toutes les couleurs de l’âme humaine. La musique agit sur notre sentir, elle suscite une imitation invisible de la nature et réveille les sentiments que l’on éprouve en contemplant cette musique.
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