
Contexte historique
Ermenonville, le calme après la tempête.
Fin mai 1778, à l’invitation du marquis de Girardin, Rousseau et son épouse Thérèse quittent leur modeste appartement de la rue Plâtrière à Paris pour le domaine d’Ermenonville, à dix lieues au nord de Paris, aménagé au goût de Jean-Jacques. Le parc, entre nature et décor architecturé, s’inspire de l’œuvre de Rousseau : lac, table des mères, autel de la rêverie, banc de Julie… Tout renvoie aux œuvres de Jean-Jacques et tout y invite à la promenade, aux joies simples des leçons de musique données aux enfants du marquis.
Un précédent dessin de l’Alsacien Georg Friedrich Meyer, ou Mayer, datant de 1778, le montre d’ailleurs doté d’un bâton et d’un bouquet, tenant par la main un petit garçon, en compagnie du couple Girardin. L’endroit constitue un havre de paix en cette fin de vie tardivement apaisée, après le déchaînement des passions suscitées par sa rivalité avec Voltaire et surtout l’Emile ou de l’Education. Le Parlement comme l’archevêque de Paris avaient en effet condamné l’ouvrage, poussant son auteur à un double exil à Genève puis à Londres.
Analyse des images
Un portrait d’après nature.
Les Confessions affirment d’emblée leur vocation portraitiste en prétendant faire « le seul portrait d’homme peint exactement d’après nature et dans toute sa vérité ». Or, cette estampe est fidèle car elle est l’une des versions réalisées à partir du dessin de Mayer, professeur de dessins des enfants Girardin chez qui l’auteur réside.
Il y représente une scène d’une grande sérénité. La palette de l’aquarelle décline paisiblement un camaïeu de teintes grises, vertes et brunes. Au premier plan est figuré un Rousseau aux traits légèrement tirés, âgé, mais digne. Le portrait mêle élégance et simplicité de la tenue. Celle-ci se compose de bas blancs immaculé, d’une chemise claire, d’une culotte et d’une redingote sombres. Le tricorne, chapeau très en vogue au XVIIIe siècle, est coincé sous le bras droit et permet de mettre en évidence une perruque poudrée. Les souliers à boucle, les joues et les lèvres rehaussées de rouge sont autant d’éléments qui illustrent une discrète coquetterie.
En revanche, d’autres détails plaident en faveur d’une activité simple : Rousseau s’appuie de sa main droite sur un bâton de marche, allié du promeneur solitaire, tandis que la main gauche tient un bouquet de fleurs, sans doute des pervenches. Le philosophe se détache sur un paysage champêtre qu’il scinde en deux en son milieu. A sa gauche, l’eau prédomine sous les formes d’une rivière, enjambée par un pont en bois auquel il tourne le dos. A sa droite, dans un écrin d’arbres tels que des peupliers, on distingue une demeure aux volets qui semblent clos.
Interprétation
« ici repose l’homme de la nature et de la vérité
»
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, on ne dissocie pas le jugement sur l’œuvre du jugement sur le modèle. Dès lors, réaliser un portrait revient à cerner une personnalité, un tempérament, un moment. Or, Rousseau succombe d’une apoplexie le 2 juillet 1778 et Mayer le suit de près, puisqu’il s’éteint en 1779. Le dessin qui sert de support à l’estampe a donc été réalisé dans un temps très court, selon toute logique après la mort du philosophe. La peinture, quant à elle, date vraisemblablement des années suivantes. L’atmosphère paisible de l’image traduit dès lors l’implicite d’une mort imminente et bienvenue dans cet éden naturel, précurseur des paysages romantiques.
L’image réunit en elle les dernières œuvres de Rousseau, entre Rêveries et Confessions. Comme pour achever le cycle d’une vie, le bouquet de pervenches fait ressurgir le bonheur fugace de cette découverte florale avec Madame de Warens aux Charmettes, de sa redécouverte avec M. de Peyrou à Cressier, décrite avec une tendre nostalgie dans les Confessions publiées en 1782. Ainsi le botaniste amateur semble-t-il adresser ces fleurs à lui-même, les élevant vers le bosquet de peupliers où il est enterré et qui devient très vite un lieu de célébration posthume. Image au prix modique, accessible à tous, l’estampe elle-même incarne ce rousseauisme populaire en pleine expansion.
Bibliographie
- COTTRET Monique et Bernard, Jean-Jacques Rousseau en son temps, Paris, Perrin, 2005, éd de poche, Tempus, 2011.
- DAUMAS Maurice, Images et sociétés dans l’Europe moderne, XVe-XVIIIe siècles, Paris, A. Colin, 2000.
- Rousseau, Révolution, Romantisme, République, L’image de Jean-Jacques Rousseau, Chambéry, Genève, musée savoisien, musée d’art et d’histoire, 1990, Mireille Védrine « La faute à Rousseau », p.19-22.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.